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Je donne cours dans une classe verticale de 1re/2e différenciée en secondaire. Neuf élèves constituent le groupe. Cinq d’entre eux ont réintégré l’enseignement ordinaire après quelques années passées dans le spécialisé de type 8 [1]. Trois parmi eux bénéficient d’un suivi individualisé dans un parcours d’intégration.

Nous sommes à la visite médicale, les filles sont déjà passées chez l’infirmière et sa collègue pour se faire mesurer, peser, vérifier la vue, l’ouïe. C’est au tour des garçons. Avec gouaille, elles leur rappellent que la doctoresse va regarder dans leur slip !
Je suis installée à une table et les quatre filles sont autour de moi, elles me disent que lors de l’auscultation, on leur a dit qu’elles devaient perdre du poids. Elles veulent me montrer qu’elles étaient moins fortes avant ou, comme Nisrine, qu’elle a toujours été bouboule. Elles font défiler des photos sur leur gsm, elles me les montrent, les commentent. Beaucoup ont été prises dans leur école précédente lors de moments festifs.
« C’était trop bien ! On y a passé plein de bons moments ! »
Elles me parlent de leur école spécialisée de l’année dernière ou d’il y a deux ans. On les voit sur des photos retouchées avec des petites oreilles de chats ou avec des couronnes de fleurs. Le point commun de toutes ces images, ce sont les sourires qui illuminent leurs visages. Je ne savais pas qu’elles avaient fréquenté toutes les quatre la même école communale pas très éloignée de notre établissement actuel.
Je m’intéresse :
Qu’est-ce qui était si bien ?
Les professeurs et les éducateurs ! Ils étaient vraiment chouettes !
Ah ! Si on pouvait encore y rester, je signerais tout de suite, me dit Sankisha.

Des écoles assez primaires

« Moi au début, j’ai pleuré, me raconte Lina. Quand j’étais en primaire, j’avais du mal, ils expliquaient vite et ne voulaient pas recommencer une deuxième fois, je m’enfonçais chaque année un peu plus. Comme ça n’allait pas, ma mère me menaçait tout le temps. Elle disait : continue comme ça et tu iras dans une école d’enseignement spécialisé ! Tu seras avec des enfants handicapés. Ça me faisait peur. Comme ça n’allait pas mieux et que j’avais déjà doublé une fois, j’ai dû aller dans le spécialisé, la dame de l’accueil m’a tout de suite dit que, chez eux, il n’y avait pas de handicapés et là j’ai respiré, c’était vrai. »
« Moi, je ne faisais pas mes devoirs et je ne travaillais pas assez, alors ils m’ont envoyée là-bas et alors j’ai pu évoluer. »
« Dans mon école primaire, ça n’allait vraiment pas, me confie Nisrine. On était vingt-quatre en classe et je n’arrivais pas à suivre. L’institutrice se montrait méchante envers moi, elle me critiquait, elle s’énervait quand je ne comprenais pas, même les autres enfants se moquaient. Ça a été une période que je ne voudrais plus jamais revivre, même d’en parler ça me rappelle de trop mauvais souvenirs. »
Je sens sa voix chargée d’émotion, les larmes aux yeux, elle raconte comment cette école d’enseignement spécialisé a été une délivrance pour elle. À la maison, son papa est sourd et communique en langue des signes, sa maman lui parle arabe. Ses professeurs s’étonnent de sa pauvreté lexicale alors qu’elle parle trois langues ! Ce qui lui manque, ce sont les mots de l’école et de la langue des apprentissages, mais elle est d’une finesse pour ce qui concerne le relationnel et la réflexion sur ce qu’on fait qu’elle est un véritable atout pour faire avancer le travail de tous.

Une école assez spéciale

Je creuse, je cherche à savoir ce qui était si bien dans cette école où elles se sont rencontrées.
« Les profs étaient vraiment chouettes, ils avaient beaucoup d’humour. Il faut dire aussi qu’on arrivait de grandes classes où ça n’allait pas et là on s’est retrouvées dans des petits groupes de maximum treize élèves. On avait des moments de suivi individuel aussi et puis comme on était tous là à cause de nos difficultés, on ne se moquait pas des autres. »
« Les éducateurs aussi ils étaient trop bien. Quand on était sur la cour, par exemple, et qu’on s’isolait un peu, tout de suite ils comprenaient qu’il s’était passé quelque chose et ils venaient vers nous. J’adorais l’éducatrice et parfois, je retourne la voir. »
Les paroles de Nisrine me touchent :
« Là-bas, les profs ils expliquent bien. En même temps on travaille et en même temps on rigole. Moi ils m’ont redonné confiance, ils m’ont fait revivre, il y avait quelque chose en moi qui était mort. »
Je souhaite en savoir plus sur les apprentissages, comment ils se passaient, quels outils spécifiques étaient mis en place, mais rien ne semble les avoir beaucoup marquées si ce n’est la bonne ambiance et l’humour des adultes.
« Ah si, me dit Lina, je me rappelle que pour apprendre à dire des chiffres longs comme deux-mille-sept-cents, il y avait des sortes de grands wagons et à chaque fois, il y avait un petit camion qui passait et on devait dire les nombres. Si ça vous intéresse, la prochaine fois que j’y vais, je ferai des photos avec mon gsm. »

Retour vers le présent

« Il y a un truc qui ne m’a pas plu, me confie Giulia, dernièrement, l’école est passée à la télévision et une des logopèdes qu’on a eues a dit qu’on avait un handicap et qu’on le garderait toute notre vie ! »
Amine est le premier à sortir des cabines. La discussion s’interrompt.
« Alors, avec la doctoresse ? »
Rires complices des filles.

ps:

Propos de Nisrine Dailal Boulaich, Giulia De Boek, Sankisha Mujanay et Lina Sadek recueillis par Thérèse Diez

notes:

[1L’enseignement type 8 s’adresse aux enfants présentant des troubles des apprentissages (les dys…).