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Ça y est, les bobos bichent : tous les PO veulent leurs écoles à pédagogie active. Tous les déçus de l’école, profs et parents, en croquent. Vive la réac-tivité [1], bonjour les confusions !

On va finir par se rendre compte que la pédagogie est politique. Les méthodes ne se justifient pas par leur efficacité d’apprentissages, mais par leur finalité : quel type de sujet veulent-elles faire émerger dans quelle société ?

Petit essai de typologie arbitraire et réductrice

En partant du principe que l’école dans nos sociétés a pour fonctions d’instruire, d’évaluer (orienter), d’éduquer et de socialiser, cette typologie peut se construire sur la priorité donnée entre ces différentes fonctions et sur la base des oppositions suivantes : instruire ou sélectionner, émanciper ou conformer, épanouir ou engager.
Pour apprendre, on est toujours actif. Apprendre, c’est reconstruire dans sa tête. Cela peut se faire en étant récepteur d’une pédagogie transmissive ou en étant acteur et, encore mieux, en étant auteur dans un dispositif de pédagogie active. Les différences concernent la posture éducative et les effets recherchés.

Pédagogies transmissives

La pédagogie transmissive suppose une posture éducative de soumission au savoir. Le savoir est considéré à priori comme la forme supérieure de représentation du réel. Il apparait comme découvert par les chercheurs. Une fois pérennisé, il est transmis par les enseignants. C’est ce qui fonde la hiérarchie des intervenants : chercheurs> enseignants> apprenants. Le maitre sait et les élèves ne savent pas. Le maitre transmet et les élèves se soumettent. Il s’agit de perpétuer un certain type de rapport au savoir à certains modes de production et de transmission du savoir. C’est en cela que l’institution scolaire renforce les rapports sociaux existants. Ce type de rapport au savoir est cohérent avec un certain type de rapport à l’autorité, de rapport aux autres et de rapport au monde.
Cette pédagogie s’accompagne d’une gestion des comportements correspondant à la gestion des apprentissages : l’élève y est objet d’éducation comme il y est objet d’instruction, pour qu’il s’adapte au monde tel qu’il existe, qu’il s’intègre dans les rapports sociaux existants. D’ailleurs, les patrons éclairés s’opposent aujourd’hui à ces pédagogies, soucieux que l’école forme de nouveaux travailleurs capables de créativité, d’autonomie et de coopération.

Pédagogies actives

Les pédagogies actives, au contraire, supposent un rapport de maitrise au savoir. Le savoir est considéré comme ayant été construit collectivement. Si le savoir a été construit, il peut être déconstruit et reconstruit et c’est ce qu’on propose à l’élève. Cela remet en question les rapports de production et de transmission du savoir. Ce rapport de maitrise au savoir peut être proposé de différentes manières selon les pédagogies actives : l’enfant peut être invité à le découvrir seul ou en groupe, par projet ou par situation-problème. Ce type de rapport au savoir entraine un autre type de rapport à l’autorité, de rapport aux autres et de rapport au monde.
Cette pédagogie s’accompagne d’une gestion des comportements correspondant à la gestion des apprentissages : l’élève y est sujet, coauteur de son éducation, pour qu’il participe au monde et à sa transformation. Cette participation peut, selon les pédagogies actives, être plus personnelle ou plus collective, plus sociale ou plus culturelle.

Enseigner pour sélectionner : l’école traditionnelle

L’école traditionnelle à pédagogie transmissive ne pense guère sa pédagogie. Elle est fortement tributaire de représentations sociales non explicitées, naturelles : l’idéologie du don et du mérite, la nécessité évidente d’une normalisation des comportements, l’adaptation de l’école à la division du travail, le refus des expertises… C’est un ensemble d’habitudes implicites de travail qui s’imposent dans les classes sans remise en question : l’enseignant enseigne et les élèves apprennent s’ils le peuvent.
La fonction cachée de sélection l’emporte largement sur les autres fonctions : on instruit, éduque et socialise pour que chacun reste à sa place. La légitimité de cette sélection repose sur une croyance généralisée en l’égalité des chances et en l’inégalité des ressources individuelles. Désocculter le déterminisme social, et tout s’effondre.
C’est une école qui convenait très bien à la reproduction des rapports sociaux de la société industrielle. C’est ce qui explique qu’elle est aussi bien critiquée par la droite libérale que par la gauche et qu’elle reste défendue par la droite conservatrice. Elle domine aussi les représentations de l’école des familles populaires qui acceptent cette compétition individuelle, en espérant que leurs enfants en sortent gagnants, les exceptions confirmant la règle.

Instruire pour conformer : l’enseignement explicite

La pédagogie explicite se revendique comme modèle et se théorise [2], en se présentant comme la seule pédagogie vraiment scientifique. Démonstrations statistiques à l’appui, elle s’affirme plus efficace que les pédagogies actives qu’elle présente comme préjudiciables aux enfants de milieux populaires. On pourrait dire que cette pédagogie est par excellence l’anti-pédagogie active. En cela, elle révèle par contraste ce que sont les pédagogies actives. Lire l’encart Dérives pédagogiques.
Elle apparait aujourd’hui comme la seule bonne façon de sauver l’école traditionnelle et l’ordre social : un enseignement efficace, de bons apprentissages des matières scolaires, une régulation stricte de la classe et de l’école. Elle rassure tous les conservateurs et renvoie les pédagogies actives à des rêveries de gauchistes potaches…

Instruire pour émanciper : l’Éducation nouvelle

L’autosocioconstruction du savoir a été théorisée par le groupe français d’éducation nouvelle [3] (GFEN). L’apprentissage se fait principalement à travers des situations problèmes, un dispositif inventé et travaillé par ce mouvement pédagogique, et souvent galvaudé en dehors de lui. Ce courant remet en question les inégalités sociales et d’apprentissage.
Je cherche donc j’apprends. J’enseigne, donc je conçois. Expliquer dispense de penser ! Tous capables de tout apprendre pourvu qu’on s’en donne les moyens. L’activité de l’élève est mise en avant, une activité de recherche en coopération pour produire du savoir local, pour s’émanciper par le savoir.
Cela suppose pour l’enseignant un travail d’analyse didactique important. Une situation problème ne s’improvise pas. Elle est conçue pour contraindre l’apprenant à surmonter des obstacles épistémologiques et s’approprier le savoir correspondant. C’est très différent d’une pédagogie du projet qui fait confiance aux multiples situations de vie rencontrées pour que tous les apprentissages fondamentaux se fassent naturellement.
Le savoir et la culture sont considérés, non pour leur utilité professionnelle ou sociale, encore moins pour leur valeur d’échange, mais comme leviers de l’émancipation personnelle et collective, comme vecteurs de paix et de développement humain.
C’est la pédagogie alternative la plus facile et la plus difficile à mettre en œuvre. La plus facile parce qu’elle n’exige pas de modifications importantes de l’organisation scolaire ; on peut faire travailler ses élèves par situations problèmes sans déranger ses collègues… La plus difficile, parce qu’elle exige pour l’enseignant un travail de recherches et de conception important. Heureusement, elle reste constituée en mouvement fort où on peut compter sur les camarades pour se coformer [4].
Elle n’a pas d’effets sur le marché scolaire : peu connue des parents, elle n’est pas revendiquée. Pour CGé, elle est une des pédagogies à mobiliser en priorité, pour favoriser la réussite des enfants de milieux populaires.

Éduquer pour épanouir : le personnalisme créatif

Le modèle personnaliste met en avant l’épanouissement de l’enfant, son appétence naturelle à chercher et à apprendre. C’est le modèle qui accorde à l’enfant le plus de liberté, jusqu’à une liberté complète comme à Summerhill [5].
L’enseignant importe moins que l’environnement de la classe. Cet environnement propose de multiples portes d’entrée vers la recherche et l’apprentissage. Le plaisir est mis en avant. La priorité est donnée à l’expression et à la créativité, c’est l’idéal de la personne libre et épanouie.
L’enfant y apprend à partir des projets de recherches qu’il mène, encouragés et accompagnés par l’enseignant. Ces projets peuvent être menés seuls, en petits groupes ou en groupe-classe, mais la dimension personnelle l’emporte sur la dimension collective, l’épanouissement personnel sur l’engagement collectif. Les filières et les orientations ont une valeur égale, dans un certain déni des réalités sociales et économiques.
Avec l’hyper valorisation de l’enfance, l’obsession du développement personnel et l’happycratie, c’est évidemment la pédagogie la plus demandée par les parents bobos, celle qui pèse lourd sur le marché scolaire et qui pousse les PO à organiser tout, n’importe quoi et son contraire.

Socialiser pour engager : le collectif agissant

Le modèle institutionnel [6] met l’accent sur le collectif. Si l’environnement importe pour faire naitre des idées de recherche et de projets, c’est le groupe qui va les mener collectivement. L’enseignant est responsable du dispositif, mais il s’efface au profit de l’organisation du groupe.
Il s’agit d’apprendre à s’organiser pour coopérer et progresser ensemble. Les situations de classe comprennent nécessairement de multiples difficultés. Chacune sera l’occasion de pousser le groupe à trouver la meilleure manière d’y répondre, et donc de créer les institutions nécessaires au bon fonctionnement de la classe. La priorité est donnée à la coopération, c’est l’idéal de l’acteur social engagé.
C’est la pédagogie la plus difficile et la plus facile à mettre en œuvre. La plus difficile parce qu’elle exige des modifications importantes dans l’organisation du temps et de l’espace. Avec ses (petites) institutions, elle dérange beaucoup la (grande) Institution. La plus facile parce qu’elle peut accueillir presque toutes les méthodologies : le drill quand c’est nécessaire, les situations-problèmes et les projets. À CGé, nous aimons associer pédagogie institutionnelle et socioconstructivisme.

Pédagogie et politique

Si les pionniers du GFEN et Célestin Freinet étaient proches ou membres du parti communiste français (jusque dans les années 60) tandis que Maria Montessori était proche de Mussolini et de Pie XII, ce n’est pas un hasard. Chaque option pédagogique est un choix politique. Entre enseigner pour sélectionner, instruire pour conformer, instruire pour émanciper, éduquer pour épanouir et socialiser pour engager, il faut choisir et donc partiellement aussi renoncer.
La confusion aujourd’hui autour du terme pédagogie active pour des raisons de markéting et de positionnement sur le marché scolaire favorise des dérives préjudiciables aux élèves.

ps:

L’enseignement explicite : une anti-pédagogie active
Cette pédagogie porte bien son nom : c’est l’enseignement qui compte, cela signifie que ce sont bien l’enseignant, le savoir et même l’ordre social, à travers les comportements exigés, qui sont centraux. Alors que les pédagogies actives annoncent vouloir mettre l’élève au centre des apprentissages, l’enseignement explicite annonce clairement que les élèves seront objets d’instruction et d’éducation.
Pour être efficace, l’enseignant annonce d’abord aux élèves les objectifs et les enjeux d’apprentissage pour la leçon qui va suivre. Il donne ensuite les explications, en les reliant explicitement aux objectifs annoncés. Lorsqu’il s’est assuré de la compréhension des élèves, il propose alors des exercices qui s’ils sont réussis permettent de passer à la leçon suivante. C’est bien parce que les objectifs et les enjeux de l’apprentissage sont annoncés que cette pédagogie s’appelle explicite, par opposition aux pédagogies actives qu’elle accuse d’être implicites et cela expliquerait leur inefficacité.
Chaque leçon doit être bien préparée. Cette préparation prévoit d’abord les résultats d’apprentissages recherchés, ensuite les preuves qu’ils sont atteints et enfin les interactions avec les élèves pour y arriver. Ces interactions commencent par la démonstration de l’enseignant, le modelage, suivie d’une pratique guidée et terminée par une pratique autonome. Une dernière phase de consolidation des apprentissages est alors prévue. Chaque étape du programme est ainsi séquencée et fortement intégrée dans une progression structurée allant du simple au complexe.
Partant du principe que les élèves présentant des troubles de l’apprentissage sont aussi souvent des élèves qui présentent des troubles du comportement, l’enseignement explicite propose aussi une méthode de gestion des comportements, prévoyant des interventions préventives (relation positive, environnement sécurisant, encadrement constant, classe bien organisée et stratégies d’enseignement efficace) et des interventions correctives.
Par exemple, la bonne organisation de la classe, ce sont des places assignées aux élèves, un mobilier disposé pour que tous les élèves puissent voir l’enseignant et le tableau, un agenda journalier des activités affiché au tableau et coché au fur et à mesure, des routines renforcées pour les déplacements, la distribution du matériel… L’élève est, très clairement, mis en posture de soumission au savoir et à l’ordre de la classe. Et, c’est efficace… !
Les débats entre tenants de l’enseignement explicite et ceux des pédagogies actives portent en général sur l’efficacité des méthodes, mais leur virulence et la violence des accusations réciproques ne peuvent se comprendre que par les choix idéologiques (quel sujet veut-on faire émerger dans quelle société ?) qui les opposent. L’enseignement explicite bien pratiqué est très efficace pour les apprentissages, surtout ceux évalués par PISA par exemple, et ce n’est pas pour ça qu’ils ne sont pas importants.
On aurait tort de rejeter les apports de l’enseignement explicite au nom d’une pureté idéologique. Il nous rappelle qu’en pédagogie active aussi, il faut expliciter les apprentissages, mais pas nécessairement à priori. Dans une classe à pédagogie active, certains apprentissages gagneraient à s’inspirer de certaines séquences de l’enseignement explicite. Une classe à pédagogie active a aussi intérêt à être une classe bien organisée, mais la question reste : organisée comment, par qui et pour quoi.

notes:

[1Selon la méchante expression de Chloé Andries : « Écoles Steiner, pédagogie réac-tive », Médor n° 16, 2019.

[2Son chef de file actuel est Steve Bissonnette, invité récemment par les universités de Liège et de Mons où son influence est grandissante.

[3En remontant le temps avec des auteurs comme Jacques Bernardin, Odette et Henri Bassis, Henri Wallon, Paul Langevin…

[4GFEN, GBEN, LIEN…

[5A. S. NEILL, Libres enfants de Summerhill, mais aussi avec plus de contraintes, des auteurs comme Ovide Decroly, Maria Montesssori, Rudolf Steiner et des expérimentations actuelles à travers les écoles…

[6À travers des auteurs comme Célestin Freinet, Janusz Korczak, Fernand Deligny, Fernand Oury…