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Si on veut intégrer les enfants allochtones, il faut les considérer dans leur globalité. Il s’agit de prendre en compte les richesses présentes dans les familles, dont la langue maternelle, pour des motifs d’ordre didactique, mais aussi psychologique. Il faut aussi veiller à l’implication active des parents de ces enfants et s’appuyer sur les apports possibles des communautés d’origine.

Le Foyer [1] est une asbl aux multiples visages et fonctions, enracinée activement à Molenbeek depuis 1969. Ses diverses activités de formation, d’éducation permanente, culturelles, juridiques, s’adressent aux adultes, aux adolescents et aux enfants. Le Foyer est actif au niveau communal mais aussi régional et international dans la problématique globale de l’intégration des populations d’origine étrangère. Le Foyer est aussi reconnu depuis 2000 comme Centre régional d’intégration pour Bruxelles [2]. Une de ses facettes importante concerne l’enseignement. Nous avons rencontré Hilde DE SMEDT la coordinatrice de la cellule « enseignement et plurilinguisme ».

L’école en deux langues

C’est une des facettes de l’enseignement fortement travaillée par le Foyer. Déjà en 1981, des premiers pas avaient été posés à Laeken avec huit enfants italiens qui, dans l’enseignement fondamental, entamaient les apprentissages pour une part en italien et pour l’autre en néerlandais. Depuis, les choses ont progressé. La Belgique avait reçu des directives européennes à propos des langues et cultures d’origine pour les migrants. Des enseignants envoyés par les ambassades de différents pays avaient été engagés dans les écoles mais, vu leur méconnaissance du vécu de l’immigration, leurs approches ont souvent été critiquées. Aussi, quand le Foyer a fait ses propositions d’enseignement biculturel et bilingue au Ministère, celui-ci a rapidement apprécié et subsidié le projet.
Actuellement, le Foyer accompagne six écoles fondamentales qui pratiquent cet enseignement biculturel dans différentes communes de Bruxelles. Les langues maternelles dans lesquelles se pratique une partie de l’enseignement sont l’italien, le turc et l’espagnol. [3] Le but est que les élèves développent une maitrise fonctionnelle à usage de communication dans leur langue maternelle et qu’en plus ils acquièrent une bonne connaissance des deux langues principalement utilisées en Belgique. Ainsi, ils devraient être trilingues en quittant l’école.
Environ 500 enfants sont concernés par ce projet dont la moitié sont d’origine turque. Le public de ces écoles peut être socialement mixte ou non. Par exemple, dans l’école où les enfants sont essentiellement d’origine turque, 66 % des familles atteignent tout juste le seuil de pauvreté ou se situent sous ce seuil.
Dans ces écoles, l’équipe des enseignants est constituée par ceux qui donnent cours en néerlandais et ceux qui donnent cours dans d’autres langues. Des fêtes propres aux familles sont fêtées, exploitées dans les cours, des traits des cultures d’origine sont valorisés et/ou appris, des thèmes sont abordés, qui traversent toutes les cultures.
Ces six écoles servent un peu de laboratoire quant aux possibilités d’apprentissages liés aux approches par et dans deux langues et cultures. Des observations faites, il ressort qu’un plus grand nombre d’enfants de ces écoles sont dans l’enseignement général et qu’ils réussissent mieux dans le secondaire.

Talen mijn gedacht

Talen mijn gadacht est le nom donné à un dispositif mis en place récemment afin de permettre à une centaine d’enfants de dire leur propre perception par rapport aux différentes langues. Mon idée sur les langues s’est déroulé dans divers ateliers où les enfants ont exprimé sous forme ludique et/ou artistique ce que sont ces langues pour eux, les degrés de difficultés et/ou de plaisir qu’elles leur procurent, comment ils se sentent avec les différentes langues qu’ils parlent, apprennent. Les productions qui résultent de ce travail ont fait l’objet d’une exposition au Kaaitheater.
La cellule enseignement et plurilinguisme du Foyer a fabriqué un petit livret reprenant les activités déployées dans ces ateliers, de façon à ce que des enseignants d’autres écoles puissent aussi les réaliser. Elles leur donneront des indications précieuses et peut-être l’envie de chercher ce qu’il y a lieu de mettre en place s’il y avait malaise. Pour Hilde DE SMEDT, cette démarche en vaut la peine parce que si un enfant ne se sent pas bien avec une langue, cela aura des effets sur ses apprentissages et, dans ce cas-là, même les meilleures méthodes ne donneront pas de bons résultats. C’est aussi une façon, pour le Foyer, de sensibiliser enseignants et inspecteurs aux vécus multiples des enfants.

Intégrer oui, mais comment ?

La tendance politique étant à l’intégration, le Foyer a pris la balle au bond et apporte sa marque propre en disant qu’il importe pour cela de partir des personnes issues des migrations, des enfants, qui alors ne devront pas nier leur famille, leurs parents, leur communauté. C’est dans cette optique que la cellule propose aussi des moments de formation aux enseignants qui sont dans les écoles courantes.
Le but est de leur faire prendre conscience de ce qui se passe dans la tête d’enfants qui vivent dans plusieurs langues et cultures et de leur permettre d’identifier ce qu’il faut faire en classe, comment être présents aux langues des enfants, les rendre bienvenues, en utiliser des mots parfois, et également comment rendre les enfants curieux d’autres langues. Il s’agit de voir aussi à quoi faire attention dans l’apprentissage du néerlandais et à la manière d’entrer en contact avec les parents, d’autant plus que la plupart des enseignants n’habitent pas Bruxelles, et qu’ils n’ont donc pas une conscience très vive des vécus des familles allochtones.
Des moments de formation sont également assurés par des formateurs des universités de Gand et Louvain, qui sont spécialisés dans les façons de construire du soutien aux enfants nommés Gok leerlingen [4]. Le Foyer aimerait travailler avec ces formateurs universitaires, entre autres pour mettre en avant les spécificités qu’il apporte, en termes de reconnaissance des familles. Ce serait d’autant plus utile que la force et la compétence du Foyer viennent de sa proximité avec les différentes communautés présentes à Bruxelles, de par son implantation à Molenbeek, ses diverses activités, son personnel aux origines diverses. Le Foyer connait donc très bien la parole et le vécu de la base et pourrait croiser ses savoirs avec les savoirs universitaires.
Ne s’agirait-il que de savoirs concernant les langues ? C’est la tendance forte amenée par le Ministère. Par contre, les questions concernant les pédagogies Freinet ou autres pédagogies actives qui conviendraient ou non aux enfants issus de milieux populaires et/ou migrants, les questions de rapports aux savoirs et à l’école des milieux défavorisés, ne sont encore que timidement abordées. Une autre tendance forte est d’impliquer les parents dans la scolarité.
Une approche sans leçons
Le Foyer estime important de considérer les parents comme responsables et porteurs de compétences, même quand ils sont analphabètes. Il ne s’agit pas d’aller leur dire : « S’il-vous-plait, parlez néerlandais », il s’agit surtout de les écouter, de leur faire place, de les relier, de leur proposer des activités. Le Foyer en organise souvent pour les six écoles qu’il suit et aussi d’autres. Par exemple, des sessions sur l’éducation multilingue avec un partage des expériences des uns et des autres, la proposition de pistes telles que : « Si on parle plusieurs langues à la maison, mieux vaut poursuivre dans une seule plutôt que d’en mélanger plusieurs. »
Les parents des six écoles biculturelles ont lancé l’idée d’un journal à leur intention. Il contient des petits récits d’enseignants, d’opérateurs du Foyer, d’enfants, de parents, écrits dans les quatre langues en cours dans les 6 écoles. Il s’appelle Allofoon, comme allusion à phonè (la voix,), l’allo du téléphone et le terme allochtones qui est le plus souvent utilisé, côté néerlandophone, pour parler de personnes issues de migrations. Ces parents ont aussi l’occasion de vivre des moments collectifs, lors d’un piquenique ou d’une visite, par exemple. Il se vit là un mélange social, culturel et linguistique très riche et les petits comptes-rendus du journal en disent toute la vie.
Vie aussi et récits de belles rencontres lors des échanges entre familles néerlandophones et familles allochtones, afin que des enfants puissent faire des séjours culturels et linguistiques les uns chez les autres ou participer à des camps de mouvements de jeunesse. Toutes activités également organisées par le Foyer, avec accompagnement des familles de part et d’autre. Vie encore, dans les propos d’anciens qui disent entre autres comment, par cet enseignement biculturel, ils ont pu apprendre le néerlandais tout en gardant leur langue d’origine et étant capable même de l’écrire.
Tant les activités qui rassemblent les parents que leur récit dans le petit journal sont un moyen de mettre ces parents à l’aise et de les intéresser à la scolarité de leurs enfants, à la fois via leur propre langue et via une langue du pays, et celle de l’enseignement pour leur enfant.

notes:

[1www.foyer.be, site intéressant à visiter et trilingue (néerlandais, français, anglais), de cette asbl qui fête ses 40 ans d’existence comme bientôt CGé !

[2Selon le décret de 98 du gouvernement flamand.

[3Les élèves suivent, dès les classes maternelles, un programme mixte : une partie des cours est organisée dans la langue maternelle, l’autre partie en néerlandais. Au fil des années scolaires, la part des cours organisés dans la langue maternelle diminue progressivement au profit de celle donnée en néerlandais.

[4Élèves intégrés dans le programme GOK, initié par la Communauté flamande, à savoir Gelijke onderwijskans ou Chances égales d’enseignement. Voir à ce sujet l’article Pour plus d’égalité.