Écouter fait partie, à côté des trois autres aptitudes langagières (lire, écrire, parler), des compétences que l’enseignant en langues entend développer. Cette aptitude peut être à la base d’activités variées et multiples dans les modes de supports, la nature du document écouté et les objectifs recherchés : on peut en effet écouter pour capter la mélodie de la langue, répéter ce que l’on a entendu, comprendre ce qui est dit, trouver une information, répondre à des questions, raconter dans la langue maternelle ce que l’on a compris…
L’écoute d’un document sonore dans une langue étrangère est quelque chose de complexe, car il faut pouvoir capter de manière quasi instantanée ce que votre interlocuteur a voulu dire. Sur base d’une enquête non représentative réalisée auprès d’étudiants faisant leur entrée dans une haute école pédagogique en section langues, on constate que, contrairement à ce que l’on pourrait penser à priori, l’audition prend sa place en classe. On écoute régulièrement dans les classes de langues du secondaire, en moyenne une fois par semaine ou toutes les deux semaines, parfois on demande d’écouter à domicile. Par contre, cette écoute ne semble pas être « accompagnée ». En gros, on écoute, mais on n’apprend pas à écouter.
Une activité complexe
1. La perception des sons. Il est essentiel de savoir que chaque langue a sa propre façon de structurer les sons dans leurs fréquences. Ces fréquences se mesurent en hertz. Au-delà des habitudes culturelles, le phénomène du « don des langues » s’explique. À l’origine, l’oreille humaine perçoit une infinité de rythmes et capte une gamme de fréquences très large, allant de 16 à 16 000 hertz. Mais, en grandissant, l’enfant puis l’adulte verra sa capacité d’analyse phonétique se focaliser sur les caractéristiques de sa langue maternelle (rythme et fréquences). Le français mobilise une capacité d’analyse entre 1 000 et 2 000 hertz, alors que l’anglais sollicite notre écoute entre 2 000 et 12 000 hertz ; quant aux langues slaves, c’est sur un spectre allant de 125 à 8 000 hertz qu’elles font travailler l’oreille ! En fonction de votre langue de départ, vous pouvez donc être sourd aux sons utilisés dans d’autres langues.
Il existe d’autres différences tout aussi importantes, telles que les intonations, les rythmes. Ainsi, une des difficultés majeures pour l’étudiant francophone en néerlandais est la présence dans les langues germaniques de l’accent tonique placé sur la première syllabe des mots et la présence de sons longs et courts quasi inexistants en français.
2. La segmentation des mots. Les fréquences des sons, les intonations des mots, les rythmes des phrases empêchent l’écoutant de distinguer les mots entre eux. Notre cerveau a besoin de comparer des sons ou regroupements de sons entendus à ceux qu’il connait déjà pour en identifier les mots correspondants. Ici intervient le bagage lexical et grammatical de la langue de l’apprenant.
3. L’interprétation des idées. Pour reconnaitre les idées, le cerveau analyse les mots reconnus avec les différents contextes déjà rencontrés. Dans cette optique, plus le contexte est familier, plus l’information passera. Dans le cas de journaux parlés par exemple, écouter le JT dans la langue maternelle avant de passer à une écoute du JT dans la langue cible peut contribuer à une meilleure écoute.
4. La reformulation. Cette dernière étape consiste à regrouper le sens des différents mots et à en extraire une idée. Les mots essentiels sont mis en mémoire par le cerveau et ensuite les paroles entendues sont réexprimées par l’apprenant. Durant cette phase, on passe de la mémoire à court terme à la mémoire à long terme.
Ce découpage en quatre étapes peut dès lors aider l’enseignant à identifier où cela « coince » en (se) posant les bonnes questions : s’agit-il d’une sensibilité aux sons, du découpage des syllabes, des mots, de lacunes lexicales, de la place de mots, du stockage dans la mémoire,… ?
Des langues pour tous ?
Avant l’écoute, il est intéressant de savoir de quel type d’audition il sera question (conversation, discours, film, bulletin de nouvelles,…) et d’orienter l’élève vers un projet d’écoute.
Quel que soit le texte à écouter, la technique des 6 questions peut aider à repérer les idées principales : qui fait quoi ? où ?, quand ? comment ? pourquoi ? Plusieurs écoutes sont évidemment nécessaires, mais savoir ce que l’on cherche en écoutant est essentiel.
Plus généralement, connaitre son profil pédagogique selon la classification apportée par la Garanderie et la gestion mentale (profil avec dominante auditive, visuelle, kinesthésique) est un apport intéressant en classe de langues. Quelques exercices réalisés en classe via des échanges sur la façon dont les élèves mémorisent des mots nouveaux de vocabulaire, intègrent de nouvelles règles de grammaire, pratiquent l’audition… peuvent aider à faire prendre conscience à l’élève de son profil et à s’améliorer. Une étape complémentaire est d’amener l’apprenant à utiliser les multiples profils à sa disposition : les visuels doivent être encouragés à utiliser le canal auditif et inversement, par le biais de situations d’apprentissage qui sollicitent tous les canaux.
Si apprendre à apprendre est, d’une manière générale, trop peu présent dans les cours de langues, tous les élèves ne bénéficient cependant pas de conditions identiques d’apprentissage. Apprendre une langue à l’école demeure une activité « artificielle », très limitée dans le temps scolaire : 4 ou 2 fois 50 minutes par semaine à raison de 32 semaines de cours effectives sur une année scolaire. Cela n’empêche pas l’enseignement traditionnel des langues de donner d’excellents résultats… pour certains élèves.
La question de l’apprentissage de langues par tous, au-delà des pistes mentionnées ci-dessus, s’est concrètement posée dans ma pratique lorsque j’ai fait le choix de quitter des élèves issus de milieux culturellement et économiquement très favorisés pour travailler dans des sections professionnelles à Bruxelles.
Après avoir cherché en vain quelques pistes sur l’apprentissage d’une langue – plus particulièrement le néerlandais – dans des classes multiculturelles, je peux livrer quelques réflexions personnelles.
Rattacher, détacher
Partons du constat que, paradoxalement, ces élèves sont linguistiquement plus riches que beaucoup d’élèves favorisés. Ils sont en général bilingues ; le français n’est pas nécessairement leur langue maternelle, une autre langue est souvent parlée à la maison. Comment dès lors faire apprendre une troisième langue dans un contexte scolaire, en l’occurrence le néerlandais ?
La piste envisagée passe par la valorisation des langues d’origine. Sans prétention linguistique, il m’arrivait de faire traduire, par chacun des élèves, dans sa langue, des mots ou des phrases usuelles, de les faire répéter, de faire remarquer les éléments de comparaison et de très modestement aborder les familles de langues dans le monde.
Il est possible également de pousser plus loin les investigations. Un exemple : il n’existe que trois voyelles en arabe mais, comme en néerlandais, elles peuvent être longues ou brèves et donc modifient le sens du mot. Ainsi ‘jamal’ signifie le cheval, mais ‘jamaal’ signifie la beauté. Quelques notions élémentaires du fonctionnement des langues d’origine peuvent aider l’enseignant à faire apprendre. Il en va ainsi pour la place des mots, l’agencement des mots dans la phrase, l’intonation,…
Évidemment, nulle question ici de devenir spécialiste de toutes les langues d’origine des élèves présents en classe – elles peuvent être nombreuses –, mais l’idée fondamentale est de partir du vécu linguistique des élèves. Il s’agit de « rattacher » à la langue d’origine pour ensuite arriver à mieux « détacher », afin de faire entrer les élèves dans ce processus de décentration inhérent à l’apprentissage d’une langue étrangère au sens premier du mot. Le rattachement à la langue d’origine est souvent source de fierté, car la première maison que l’on habite est avant tout la langue ; le détachement permet de poser un autre regard, de donner un statut à la langue d’apprentissage, qui n’est plus dès lors considérée comme « barbare ».