Dans le pilotage de la réforme CPU, les syndicats d’enseignants ne sont là que comme observateurs. Ce n’est pas pour autant qu’ils n’ont rien à (en) dire, loin de là...
Dans la commission de pilotage, il y des gens des réseaux, des représentants de la Fédération WB, un représentant syndical par famille syndicale de l’enseignement, le service général de l’enseignement, le service général du pilotage, des experts ponctuels, etc. Les organisations patronales (UWE, etc.) n’y sont pas, mais elles interviennent au niveau du SFMQ qui élabore les profils de formation et les profils de certification.
Récemment, le Cabinet nous a présenté sa vision de la structure future de l’école secondaire : il envisage une seule filière qualifiante à côté d’une filière générale et une technologique. La 3e année, après le degré commun, serait une année de confirmation de choix. C’est intéressant, mais on a en fait le sentiment qu’on mène plusieurs réformes de front, sans avoir d’architecture globale. À titre personnel, je n’ai aucun problème avec aucun modèle. Chacun présente des avantages et des inconvénients. Mais nous devrions connaitre le plan global ; sinon on place des pièces qui ne sont pas précisément assemblées.
Bonnes intentions, éprouvantes concrétisations
Pour la CPU, les intentions ne sont pas mauvaises. Il y a des établissements scolaires où les choses se passent bien, mais elles se passent bien parce que les équipes de profs y sont très motivées, beaucoup plus investi qu’avant.
Il y a ainsi une plus grande disponibilité par rapport au suivi quotidien des élèves, aux réunions de concertation, pour le passage des épreuves à la fin de chaque unité et la construction des remédiations immédiate. Les outils fournis sont de qualité, mais les enseignants répètent qu’ils ne vont pas faire cela ad vitam aeternam parce qu’ils ont vraiment l’impression d’être en surrégime. À ce rythme, ils ne tiendront pas !
Les conseillers pédagogiques et l’inspection reconnaissent qu’on risque l’épuisement des équipes pédagogiques. Dans un même ordre d’idée, quand la remédiation n’est pas structurée, elle est organisée sur base du bénévolat d’enseignants. Par ailleurs, les temps d’évaluation se font au détriment du temps consacré aux apprentissages. Cette situation risque de s’amplifier avec le dispositif CPU des élèves de 6e année de différentes options.
Cours généraux et ouvertures
Au niveau de la formation commune, les professeurs de français relèvent les difficultés qu’ils ont à conjuguer les apprentissages liés au programme de formation commune et les exigences spécifiques de l’option. Le regroupement des élèves de différentes sections rend difficile la nécessité de couvrir les prescrits du référentiel spécifique.
Le nombre de semaines pour chaque unité d’acquis d’apprentissage ne prend pas en compte les activités organisées dans une école notamment pour poursuivre les objectifs du décret mission. Beaucoup d’équipes relèvent cette difficulté du carcan imposé par le dispositif CPU qui altère et freine la dynamique socioculturelle de l’école.
Cependant, poser un cadre, c’est aussi une des vertus de la CPU. Il y a, en effet, un certain nombre d’enseignants qui se sentent trop autonomes par rapport à certaines exigences. Néanmoins, le découpage en unités risque de limiter les activités d’ouverture vers l’extérieur, qui sont indispensables pour élargir la vision du métier et pour prendre connaissance des possibilités offertes au niveau belge et européen.
C’est un point que nous avions relevé. Nous sommes satisfaits de voir que le Cabinet laisse les critiques s’exprimer. Nous restons cependant dubitatifs, et serons attentifs à la suite que leur réserveront les concepteurs du système.
Vision globale ou adéquationniste
Par ailleurs, la réflexion sur les cours généraux reste, selon moi, insuffisamment développée. Les enseignants et les élèvent ont le sentiment que la formation générale n’est pas la priorité. Or, les employeurs, soucieux du développement de leur entreprise ont intérêt à prendre du personnel qualifié qui sait s’exprimer et communiquer correctement, qui est aussi capable de s’adapter à des évolutions technologiques et méthodologiques.
Depuis la CPU, on a regroupé dans certains cours généraux des élèves qui sont en CPU et des élèves qui ne le sont pas. Que disent certains enseignant ? « Je suis prof de français et j’ai 2 élèves qui ont des résultats semblables, l’élève en CPU, je ne le recale pas parce que je ne peux pas, et l’élève qui n’est pas en CPU échoue. Le sentiment d’injustice provoque de réels dégâts. Tout cela ne facilite pas les choses. »
On nous propose ici une vision de l’école trop adéquationniste au monde du travail. Ce qui distingue l’enseignement de qualification d’une formation professionnelle, c’est justement la place d’une formation générale, culturelle, artistique et citoyenne. L’enseignement de qualification ne doit pas nécessairement donner des travailleurs clés sur porte. Il reste une responsabilité fondamentale des milieux professionnels en matière de formation professionnelle. Les patrons mettent souvent la pression sur le personnel enseignant et se plaignent très souvent du niveau de formation. Mais combien d’heures et de places de stages offrent-ils ?
D’autant plus que l’école est confrontée à des défis qu’elle ne peut relever seule ! Des profs de pratique professionnelle en électricité me disent qu’il y a quelques années, on pouvait faire travailler les élèves sur le secteur, mais aujourd’hui il faut les faire travailler sur du 12 volts parce que le risque est beaucoup trop grand de les mettre sur le réseau électrique normal. Ils me signalent : « quand je vois là où je devrais les amener sur base du profil de formation qui m’est remis, je sais qu’un nombre non négligeable d’élèves n’y arriveront pas ! »
Vertu et communication
Le côté le plus positif dans la CPU, c’est qu’on cherche une alternative au redoublement qui contribue à une réelle démotivation des élèves.
Le pari qui permet à l’élève d’avancer dans son parcours, grâce aux unités capitalisables, a du sens. Je ne suis pas persuadé qu’on a suffisamment investi de temps pour une communication structurée vis-à-vis des élèves et des parents qui sont dans l’expérimentation actuelle de la réforme. Dans certains établissements, on a pris du temps pour expliquer, mais aussi des façons très différentes. Évidemment, le premier vecteur d’information, ce sont les profs. Il faudrait qu’ils soient eux-mêmes informés pour pouvoir communiquer.
Rationaliser : à quelles conditions ?
Une grosse difficulté, à l’échelon local, ce sont les options peu fréquentées. En tant que délégué syndical, je ne vais pas demander qu’on ferme une option, car il y a l’emploi de profs derrière !
Actuellement, le Cabinet va essayer de diminuer le nombre de dérogations destinées à préserver ces options. Nous nous battons pour des classes à taille décente et nous savons que cela entrainera une diminution d’options faiblement peuplées. Mais si vous maintenez certaines classes de 3 élèves, il y en aura d’autres avec plus de 30.
C’est impossible de laisser ces responsabilités au niveau de l’établissement, le système doit réguler l’organisation des options. Il faut garder moins de formation mais dans des secteurs professionnels forts. Le 2e degré qualifiant doit probablement être en soi plus polyvalent. Nous avons dit au cabinet que nous pourrions être volontaristes sur les normes de maintien si celui-ci ouvrait une politique de requalification du personnel qui serait victime de pertes d’emploi suite à la fermeture d’options.
Quand on parle de requalification et reclassement du personnel, nous pensons que beaucoup d’enseignants pourraient se reclasser. Prenons un exemple : dans l’enseignement fondamental, on recherche des éducateurs et du personnel de soutien pour les écoles de devoirs. Si des enseignants, suite à la fermeture d’une option, ont perdu leur emploi, ils pourraient, après avoir suivi un module de formation, retrouver un travail.
Une autre piste, c’est de faire collaborer les écoles, en travaillant au niveau des bassins en vue d’organiser un service public d’enseignement particulièrement attentif aux enfants issus des milieux socioculturels et économiques les plus défavorisés. Ceci nécessite des mesures très pragmatiques :
les écoles n’ont plus le droit de faire de la publicité ;
obligation d’informer, de manière collective dans une sous-région, tous les parents et les enfants par un bulletin d’information commun à toutes les écoles ;
régulation des inscriptions dès l’enseignement maternel ;
chaque bassin doit gérer son offre d’enseignement. Il n’est pas pensable que dans un bassin on organise dans une même localité 2 cours de latin différents fréquentés par 5 élèves d’un côté et 4 élèves de l’autre. On pourrait ne faire qu’un groupe avec tous les élèves, même s’ils proviennent de réseaux différents.
Tache aveugle
Enfin, une autre crainte liée au système de modularisation avec certification par unités, est qu’elle entraine une forme d’atomisation du métier. Dans le secteur automobile, par exemple, le risque est de former des sous-travailleurs formatés pour Speedy ou Auto 5. C’est toute la conception de la défense syndicale du métier qui risque d’exploser. Un patron peu scrupuleux pourrait se dire : « Un jeune avec le module 1 en poche ? C’est suffisant pour moi, je le prends. » Mais ce jeune-là est comme un kleenex qu’il pourra jeter à la première difficulté qui se présentera.
Or, cet aspect-là n’a pas encore été abordé. Le pilotage travaille sur la manière dont les choses se gèrent dans les établissements, plutôt que sur les enjeux globaux. Dans ce genre de négociations, la question est : j’y vais ou je n’y vais pas ? C’est un énorme dilemme et il n’y a pas de réponse adéquate. Nous gardons notre liberté d’expression et la participation nous permet de baliser un certain nombre de choses.