Le concept de genre renvoie à la construction sociale de la masculinité et de la féminité. Le genre est donc variable. Travailler cette question, c’est aussi travailler sur les relations de pouvoir entre les hommes et les femmes à travers l’apprentissage.
C’était à la rentrée scolaire. J’arpentais les rues d’une ville du sud de la France. Mon regard fut attiré par deux panneaux publicitaires. Tous deux mettaient en scène des jeunes portant des vêtements d’une « grande » marque.
Le premier panneau présentait une fille de plus ou moins 7 ans, habillée d’une jupe écossaise et d’un collant fuchsia. Un bonnet d’âne coiffait ses longs cheveux noirs. Un slogan accompagnait l’affiche : « Plus top modèle qu’élève modèle ».
Sur le trottoir opposé, le second panneau publicitaire mettait en scène un garçon un peu plus âgé, habillé d’un polo, d’un pantalon façon treillis militaire et d’une écharpe. Ses cheveux étaient en bataille. Ses bras étaient armés d’un panneau sur lequel on pouvait lire « Recyclez ». Le slogan qui accompagnait l’affiche était plus engagé : « On peut être écolier et écolo ».
Le poids des images et des mots
On pourrait longuement étudier cette publicité et appliquer une grille de lecture, comme cela se fait en formation. L’un des messages, à peine caché, de cette publicité n’est-il pas : « Ma petite, soit belle et tais-toi ! » et « Mon grand, soit combattif, l’avenir t’appartient ! » ?
La publicité est loin d’être la seule à véhiculer des stéréotypes sexistes. Les messages déversés, parfois à notre insu, dans l’espace public sont nombreux, distillés avec des intensités et à des niveaux différents. Les préjugés ne sont pas cantonnés dans une sphère hermétique dont il serait aisé de se protéger. Le milieu familial mais aussi l’école jouent un rôle important dans la reproduction des stéréotypes sexistes. Ce matin encore, j’en étais le témoin. Lors de la visite d’une école pour mon enfant, le directeur encourageait « les mamans » à venir chercher leurs enfants à la fin de la journée pour leur éviter une trop longue attente à la garderie. L’association presque « naturelle » de la mère à la gestion de la famille est monnaie courante et à peine remise en question. Perçoit-on seulement le déterminisme des rôles imposé par ces images ou ces mots ? Certain-e-s trouveront peut-être qu’il s’agit de détails, mais un œil et une oreille attentifs se rendront vite compte que ce type d’exemple n’est ni anodin ni isolé.
Le rôle de l’école
Au-delà de constations prises sur le vif, l’observation et l’analyse plus systématique des savoirs transmis, des outils pédagogiques et de la gestion d’un groupe-classe montrent, eux aussi, que le corps enseignant n’est pas neutre et fige parfois, à son insu, filles et garçons dans des rôles prédéterminés.
Au niveau de la transmission des savoirs et de l’évaluation des acquis, des recherches ont ainsi révélé que les filles étaient écartées plus facilement de filières comme les mathématiques et les sciences, alors que les garçons étaient encouragés à persévérer, quitte à les faire redoubler. Ceci explique en partie pourquoi on retrouve plus d’hommes que de femmes dans les filières scientifiques des études supérieures.
Les manuels scolaires, bien que soumis à un agrément, regorgent encore de stéréotypes. Lors d’une récente formation dont l’un des objectifs était d’aider les participant-e-s à détecter et décoder ces stéréotypes, une jeune enseignante en mathématique s’est rendu compte que tous les exercices mettaient en scène des hommes à l’exception d’un seul… qui évoquait le calcul des dépenses exorbitantes d’une femme faisant ses courses. Délicieux.
Au niveau de la gestion ou de la mise au travail des groupes, une directrice se rend compte, lors d’une animation, que le jeu de cartes illustré, destiné à répartir les responsabilités en conseil de classe traduit une répartition très « traditionnelle » des rôles : « Les hommes au pouvoir, les femmes au grattoir ! ».
Ces quelques exemples montrent comment nous pouvons être les vecteurs de stéréotypes sans même nous en apercevoir, et qu’il est donc crucial de développer des pratiques pédagogiques qui ouvrent des possibles pour les filles et les garçons sans distinction. Malheureusement, cette démarche se fait rarement spontanément.
Renforcer la formation initiale et continuée
Au niveau de la formation initiale, une récente recherche [1] de la Commission enseignement du Conseil des femmes francophones de Belgique (CFFB) [2], dont CGé fait partie, a montré que les Hautes écoles comportant une section pédagogique étaient relativement imperméables à ces préoccupations d’inégalités filles-garçons et ce, malgré la modification par le gouvernement de la Communauté française du décret définissant la formation initiale des instituteurs et des régents, qui ajoute la dimension « genre » au cours d’Approche théorique et pratique de la diversité culturelle.
Cette recherche relève notamment qu’outre les difficultés inhérentes à toute mise en place de décret, la sacrosainte liberté pédagogique est une porte ouverte à des interprétations et des applications très approximatives de la dimension du genre dans les cours. Cet état des lieux fut donc l’occasion d’introduire diverses recommandations.
Une première étape, élémentaire, consisterait à veiller à ce que les directions et personnels des Hautes écoles connaissent l’intitulé légal du course et à s’assurer de la compréhension du contexte, des termes et des objectifs du décret.
Une seconde étape viserait la formation obligatoire des chargé-e-s de cours. Tout comme pour l’intégration de la diversité culturelle dans la formation initiale, une formation à l’intégration de l’égalité filles-garçons et à la dimension de genre est indispensable à la vue des résultats de la recherche. Des pistes seraient élaborées pour réaliser leur programme, pour créer des outils afin de disposer des savoirs et pratiques nécessaires à l’élaboration d’un enseignement structuré sur le genre.
Une troisième étape serait de visibiliser les outils pédagogiques développés par de nombreux enseignants et associations présents sur le terrain. Ceux-ci pourraient être réunis sur un site et un forum d’échanges entre les chargé-e-s du cours pourrait être organisé.
Au niveau de la formation continuée, la situation n’est pas non plus très favorable. Seul l’opérateur interréseaux a proposé, ces trois dernières années, une porte d’entrée thématique prenant en compte la dimension de genre. L’an dernier, CGé a d’ailleurs proposé et animé une formation suivie par une douzaine de participant-e-s. L’expérience bien que positive a révélé cependant quelques limites, que je situe à deux niveaux.
Désétrangler le moteur
La première concerne les objectifs à atteindre et la contrainte de temps [3]. Les objectifs étaient trop ambitieux pour deux jours de formation. Passer de la « prise de conscience » des inégalités à « se sentir impliqué » et à « réfléchir à ce que je transmets, ce que j’induis… » nécessite de prendre du temps si on veut faire évoluer valeurs et comportements. Il aurait été intéressant de pouvoir travailler en trois jours pour permettre l’appropriation, la création et l’expérimentation dans sa classe. L’enseignant-e reviendrait pour un troisième jour de formation, enrichi de ses observations et expériences concrètes de terrain qu’il/elle pourrait partager et envisager d’améliorer.
La seconde limite concerne le public visé. L’hétérogénéité disciplinaire est une richesse pour la formation et le groupe, mais il ne rend pas facile le travail autour d’une situation concrète d’apprentissage ou l’appropriation, ce que souhaitent le plus les participant-e-s. Que choisir quand on a, en face de soi, un-e enseignant-e de français, un-e autre de mathématiques, un-e autre de langues modernes ou encore de sciences sociale ? Nous avons travaillé à partir des représentations du groupe et des messages diffusés notamment dans les médias. Le groupe les a décortiqués et analysés à travers des grilles de lecture. Ce travail a permis de découvrir les stéréotypes sexistes et même culturels cachés dans leurs manuels scolaires. Et de prendre conscience des images véhiculées dans les cours.
En fin de formation, le groupe est surtout parvenu à voir les effets produits par le texte et l’image, mais n’a pas vraiment eu l’occasion de travailler au « programme caché » et à tout ce qui se passe lors de la transmission des savoirs et de l’évaluation des acquis. Une avancée majeure serait d’intégrer la dimension de genre dans les formations liées aux disciplines [4], aux compétences relationnelles ou encore aux questions liées à l’apprentissage et à l’accompagnement des élèves [5]. Mais ceci ne sera possible que si on décloisonne et introduit la dimension du genre dans l’ensemble de l’offre de formation.
Ainsi, les freins et les limites pour introduire la dimension du genre dans la formation initiale et continuée restent nombreux et impliquent l’intervention de différent-e-s acteurs/trices. Il est important de rappeler ici le rôle majeur du politique comme moteur de changement. Le nouveau gouvernement de l’« olivier » a développé l’un ou l’autre aspect dans sa déclaration gouvernementale [6]. Reste à savoir comment nos ministres de l’Égalité et de l’Enseignement obligatoire et supérieur vont faire respecter leurs décrets, activer et opérationnaliser leurs déclarations d’intentions. À la Commission enseignement du CFFB, on a des idées à soumettre [7]. Que ces ministres n’hésitent pas à nous appeler !
[3] Il est important de noter que c’est l’opérateur interréseaux qui fixe les objectifs, la contrainte de temps et le public visé. La seule marge de manœuvre que nous ayons se situe au niveau de l’opérationnalisation des objectifs ou encore au choix de la méthodologie ou des contenus diffusés.
[4] Voir à ce sujet l’outil pédagogique L’école de l’égalité, réalisé par le Bureau de l’égalité de Suisse romande et le dossier Filles-Garçons dans le n° 170 de TRACeS de changements, mars 2005.
[5] Voir à ce sujet les nombreuses portes d’entrée offertes par l’IFC : www.ifc.cfwb.be.
[6] La déclaration de politique communautaire est disponible sur le site de la Communauté française : www.cfwb.be/index.php?id=portail_politique.