Dans les locaux de CGé, il y a une affiche sur laquelle on voit une photo de classe. Des garçons, bras croisés sont assis en rang autour de leur professeur. En surimpression, une question : « Et si vous vous mettiez en mouvements ? »
Cette affiche a été coproduite, fin 85, par la Confédération Générale des Enseignants (devenue ChanGements pour l’Égalité), l’Éducation Populaire, GAES (Groupe d’Action École et Société), GRAPPA (Groupe de Réflexion et d’Action pour une Pédagogie Progressiste et Alternative), HE (Hypothèse d’École), Le GRAIN (Groupe de Recherche et d’Action Pédagogique) et l’OMEP (Comité francophone de l’Organisation Mondiale de l’Éducation Préscolaire).
Aujourd’hui, certains de ces mouvements ont disparu, d’autres ont changé de forme. Cependant, l’esprit reste : il fait « repère »... comme une tranche d’histoire qui nous nourrit, nous habite. Une toile de fond pour notre mouvement.
Une visée politique
HE (Hypothèse d’École) se définissait comme « un mouvement politique qui vise à regrouper des enseignants, des élèves, des psychologues, des parents en vue d’une action et d’une réflexion centrées sur l’école.
Notre objectif est clair : nous luttons pour une société socialiste dans laquelle la séparation entre le travail intellectuel et manuel, entre ceux qui exécutent et ceux qui “ pensent ” et dirigent a disparu. Nous luttons pour une société dans laquelle l’école ne sépare plus la théorie de la pratique, une société dans laquelle l’école est réellement au service des travailleurs. C’est dans ce cadre que nous menons notre combat contre la sélection sociale dans l’école, contre l’inculcation quotidienne de l’idéologie dominante que subissent les enfants de la classe ouvrière, pour la défense des enseignants et des élèves contre l’arbitraire des PO, pour la conquête des droits démocratiques et syndicaux dans les établissements scolaires, avec les autres luttes des classes populaires (dans les entreprises, les quartiers, les appareils culturels, etc.) ». [1]
Ainsi, HE s’affirme d’emblée comme un mouvement politique et non pédagogique, à la fois convaincu de la justesse de la parole de Paolo Freire (« L’éducation est toujours un acte politique ») et de la nécessité de sensibiliser aux carences du système scolaire.
Dans la mouvance de mai 68, trois étudiants de l’UCL se lancent, en 1970, dans la publication d’un journal qu’ils baptisent : Hypothèse d’École et qu’ils vendent à la sortie de la Faculté de Lettres et des restaurants universitaires, à Leuven.
Vite rejoints par d’autres étudiants convaincus, ils forment un mouvement du même nom et travaillent en collaboration avec le MUBEF [2].
En mai 76, leur revue fusionne avec Le Troublion, journal destiné à des élèves du secondaire. Nait alors Le Journal de Classe, tiré à 2 500 exemplaires. La référence au marxisme est davantage soulignée même si le contenu s’édulcore un peu.
Dans son numéro 0, à la question : « Pourquoi s’unir ? », l’équipe de rédaction répondait : « Parce que, bien sûr, si tous ceux qui n’acceptent pas l’école actuelle, quelle que soit la place qu’ils y occupent, s’unissent, ils seront nécessairement plus forts. Plus forts pour combattre une sélection injuste, pour dénoncer le contenu d’un enseignement coupé de la vie, une école -trop souvent caserne- où règne l’arbitraire et l’absence de liberté d’expression, une école qui s’efforce de maintenir la société qui l’a fabriquée à son image...Nous avons voulu un journal UTILE ».
Le Journal de Classe gardait donc bien l’esprit du mouvement HE.
Dans le même temps, HE s’était organisé en cinq régionales. Celle de Bruxelles travaillait en collaboration avec l’Agence Schaerbeekoise d’Information [3], avec le groupe de liaison des écoles en quartiers populaires, avec les écoles de devoirs ainsi que le CASI-UO [4].
Celle du Centre (La Louvière) s’engageait dans divers Comités de lutte de travailleurs pour le maintien de l’emploi. La régionale de Liège se mobilisait autour des luttes syndicales. Celle de Louvain (Leuven), qui s’était nommée « École Partisane », veillait à sensibiliser les étudiants, futurs enseignants. Enfin, la régionale du Brabant Wallon était liée au Collectif d’Action sur l’Enseignement des Sciences (Louvain-La-Neuve).
Même si chacune organisait des activités dans sa contrée, les membres se retrouvaient régulièrement en AG et participaient à la rédaction du journal, six fois par an.
Ce journal était donc bien « utile » pour relayer les analyses des groupes de travail des régionales et pour informer des différents combats.
HE arrêta ses activités en 1985.
CGé proche d’HE ?
Comme TRACeS de Changements, les publications se centraient, chacune, sur un thème. Si des revendications ont abouti à des changements, les problématiques restent semblables. Ainsi, Hypothèse d’École a traité de la formation des enseignants, l’intoxication quotidienne (analyse de manuels de l’école primaire), l’école technique, la crise économique et l’enseignement, la sélection inavouée (analyse des projets ministériels de rationalisation de l’école primaire et secondaire). Le Journal de Classe, lui, a exploré des questions telles que les mathématiques et la physique, le roman-photo, la pédagogie institutionnelle, l’ordinateur à l’école (en 82 !), les devoirs à la maison, l’orthographe... et aussi les pédagogies de la libération, le matériel pédagogique de lutte, l’héritabilité de l’intelligence...
Dans les premières années, les analyses étaient fort marquées idéologiquement : il fallait dénoncer le capitalisme d’État. Marx, Lénine, Althusser étaient des références, Baudelot et Establet aussi. Par la suite, les articles ont été moins doctrinaires tout en restant engagés à gauche.
Comme CGé, HE s’inscrivait dans un projet d’éducation populaire pour le changement social et pour celui de l’École, dans l’esprit de l’éducation permanente. L’éditorial du numéro consacré aux pédagogies de la libération s’oppose aux pédagogies qui visent à « compenser le handicap dit socioculturel » sans remettre en cause ni l’école ni la société. HE défendait, au contraire, les pédagogies de libération et de conscientisation qui veulent « promouvoir chez chacun une conscience claire de sa situation objective, à travers une critique de la réalité ». Il faut : « non seulement apprendre quelque chose, mais aussi rechercher les moyens de transformer la réalité ».
Pour atteindre cet objectif, la revue Hypothèse d’École puis Le Journal de Classe proposaient, dans chaque numéro, un « matériel pédagogique de lutte ».
Hypothèse d’École a elle-même produit plusieurs « contre-cours », le plus connu étant Le Manuel du Premier Mai. Pour une journée au service de la classe ouvrière, adaptation belge de la publication du même nom réalisée par la Centrale de l’Enseignement du Québec [5]. Dans ce manuel, chaque degré, chaque type d’enseignement, chaque discipline pouvait puiser des « contre-cours » présentant les objectifs pédagogiques, les objectifs de conscientisation, la méthodologie et le contenu, le matériel didactique nécessaire.
La parenté d’esprit entre HE et CGé était telle qu’à la dissolution d’HE, des militants ont rejoint, avec les archives comme bagages, les équipes de CGé toujours « en mouvement(s) ».
[1] Extrait de la plateforme d’HE.
[2] Mouvement Unifié Belge des Étudiants Francophones qui prônait alors l’alliance étudiants/ouvriers.
[3] Mouvement de luttes urbaines, socioéconomiques, culturelles à Schaerbeek à l’époque du bourgmestre Roger Nols, et des expulsions de la population étrangère ou ouvrière du Quartier Nord au profit de l’immobilier tellement plus rentable !
[4] Centre d’Action Sociale Italien- Université Ouvrière, né en 1970, au sein de la communauté italienne, pour lutter contre les exclusions sociales, économiques et culturelles.
[5] Depuis juin 2000, elle est devenue la Centrale des Syndicats du Québec et présente dans les secteurs de l’éducation, de la santé et des services sociaux.