*texte en je écrit à deux mains
Vendredi 22 avril
Je rentre les bras chargés d’œufs en chocolat à distribuer à mes collègues et repense aux précédents blocus accompagnés organisés par le service et pendant lesquels je passais une semaine à encadrer les étudiants. Ce retour de vacances est plus léger (enfin… les œufs mis à part…). Ce que nous avons fait, durant plusieurs années, avec les collègues, est dorénavant devenu un projet du Pôle (merci le Pôle !).
Dans mes rendez-vous, je rencontre des réalités très différentes :
l’étudiant prêt à passer ses examens, dont il me faudra gérer l’impatience ;
l’étudiant qui a passé ses deux semaines à boucler ses travaux individuels ou de groupe et qui doit maintenant se plonger dans ses cours ;
l’étudiant qui se dit qu’il est temps de se mettre à vérifier si ses cours sont en ordre ;
ceux qui, lorsque je les croise dans les couloirs, se rappellent mon existence et envisagent de prendre rendez-vous (quand il aura reçu son horaire d’examens).
Trêve de plaisanterie, c’est un moment de l’année qui fait naitre beaucoup de stress et de remise en question. Entre « J’ai fait », « J’aurais dû faire », « j’aurais aimé faire » et « je ferai », les rendez-vous permettent de réexaminer la situation pour entamer cette dernière ligne droite avant les évaluations.
« Je vous envoie ce mail un peu en urgence. J’ai reçu mon horaire d’examens, mais je suis en panique totale pour la répartition de mon étude pour chaque cours. J’ai essayé de faire un horaire, mais ça ne va pas, car je fais encore les mêmes erreurs de consacrer trop de temps à certains cours. Notre prochain RV est le 12, mais je serai à 18 jours des examens. Serait-il possible d’avancer le RV ? » (Judith, étudiante/éducatrice spécialisée)
Mardi 28 juin
Aujourd’hui, les étudiants reçoivent leurs résultats. Je me sens impatiente. Recevoir des nouvelles positives des étudiants, c’est comme avoir validé 60 crédits...
« Je tiens à vous remercier de l’aide que vous m’avez apportée. Votre intervention a largement influencé le dénouement d’une situation fort délicate pour moi. Le problème que j’avais par rapport aux cours est désormais réglé. En effet, j’ai bien travaillé mes examens de juin. J’ai raté un cours, mais réussi tout le reste. » (Philippe, étudiant éducateur spécialisé en activités sociosportives).
Et pour les autres, bien sûr que je serai toujours là (jusqu’au 13 juillet et de retour après quelques semaines de répit).
Être accompagnatrice pédagogique c’est jongler entre la réalité des étudiants, la réalité institutionnelle et la réalité de l’enseignement supérieur, sans jamais oublier que les étudiants sont notre raison d’être là.
C’est aussi tenter d’avoir le temps, saisir une occasion de s’essayer à décrire notre réalité de terrain pour le journal TRACeS de ChanGements.
Lundi 14 septembre
C’est parti ! L’été est fini… Voilà le jour du grand oral : les rentrées académiques en auditoires. On se soutient entre collègues du service aux étudiants (service social, vie étudiante et inclusion). Oserais-je le dire ? Oui, j’ai un peu mal au ventre… Être face à autant d’étudiants (et autant d’enseignants) n’est pas banal pour moi, bien plus habituée aux entretiens individuels.
Qu’est-ce que je leur dis, aux étudiants, quand ils ont un peu peur des oraux ? Ah oui : gestion du stress, ancrage et respiration... J’ai une pensée pour mes collègues du service vie étudiante qui proposent des ateliers de gestion du stress et de confiance en soi tout au long de l’année. Ces rentrées sont l’occasion de retrouver les équipes pédagogiques, administratives, la direction… et de montrer ma tête aux nouveaux étudiants ! Ceux qui viendront souvent, ceux que je verrai plus ponctuellement dans des moments de stress et ceux qui ne prendront jamais rendez-vous et que je croiserai uniquement dans les couloirs. Oui, être accompagnatrice pédagogique, c’est être là, à la demande, un peu, beaucoup, énormément, pas du tout.
Lors de cette rentrée académique, les étudiants font connaissance avec leur nouvel environnement et avec leur métier d’étudiant. Je me faufile donc entre le discours d’accueil de la direction et l’explication des crédits et des critères de réussite du nouveau décret. Dans mon sillage, je laisse mes coordonnées, les horaires, les lieux de rencontre et mon adresse mail. Cette adresse est une découverte pour les nouveaux, mais elle est déjà bien active chez les « anciens ».
« Bonjour, Madame, voici un petit mail pour dire que j’ai réussi mon année. Je passe en deuxième, je suis très contente ! Merci encore pour vos conseils et petites astuces qui m’ont été d’une aide précieuse. Je voudrais savoir s’il serait possible de prendre rendez-vous avec vous pour discuter de la deuxième année (et surtout de comment la gérer). » (Norine, étudiante/éducatrice spécialisée)
Jeudi 17 septembre
Rentrée + 3 jours… 8 h 30… J’ouvre ma boite mail : 25 mails d’étudiants en 2 jours. L’information est bien passée. Les parents, eux aussi sont bien rentrés :
« Mon fils est étudiant en troisième Bac. Il vient de recevoir ses résultats de seconde session et est en échec dans cinq cours. Il doit donc recommencer son année. Je m’interroge sur les raisons de cet échec et sur sa méthode de travail. Comment nous, ses parents, pouvons-nous l’aider ? » (Parents de Thomas, étudiant en master/ingénieur industriel)
Chaque mail est une occasion de découvrir des étudiants au profil très différent :
des nouveaux arrivants…
« Bonjour, je suis en première année. L’année passée j’ai fait des tests chez une neuropsychologue et elle a détecté que j’avais des troubles de l’attention et de l’inhibition. Je suis peut-être dyslexique, mais je n’ai jamais été testée. Je vais déjà chez une coach scolaire, mais j’aimerais savoir s’il y a des choses mises en place pour m’aider au sein de l’école. » (Valérie, étudiante/assistante sociale)
Et de travailler en collaboration, dans ce cas-ci, avec mes collègues de l’inclusion.
d’anciens étudiants HELMo qui s’interrogent…
« Je suis à l’HELMo depuis deux ans. J’ai raté mes deux premières années et j’hésite à remplir un dossier “trisseur”. Je suis perdu et je ne sais pas quoi faire. Est-il possible de vous rencontrer pour en parler ? J’ai retourné le problème dans tous les sens et j’ai vraiment besoin d’aide. » (Mathéo, étudiant/biologie médicale)
Et de travailler, dans ce cas-ci, en collaboration avec nos collègues des affaires académiques et du secrétariat de section.
Samedi 10 octobre
« Je viens vers vous, car j’aurais besoin d’une aide pédagogique. J’ai raté ma première année à cause des stages et des travaux. J’ai vraiment manqué d’organisation, mal géré mon temps et mes plannings. Je pense que j’aurais besoin de votre aide afin de ne pas refaire les mêmes erreurs que l’année passée. » (Flore, étudiante/institutrice primaire)
« Vendredi, à l’atelier de méthodes, vous avez parlé de fiches descriptives à lire pour chaque unité. Je ne trouve pas ces fiches. Je m’y prends sans doute de la mauvaise façon. Pourriez-vous me guider ? » (Kevin, étudiant/enseignant éducation physique)
Les rendez-vous s’enchainent, ma boite mail déborde. Les journées sont remplies de rencontres avec les étudiants et d’activités collectives mises en place à la demande des implantations.
Dimanche 15 novembre
Un mot de six lettres fait son apparition partout (mails, discours d’enseignants, Facebook, rencontres étudiants) : blocus.
« Bonjour, je reprends contact avec vous, car j’ai l’impression que cette année s’annonce encore plus difficile que l’année passée. Je suis déjà à bout alors qu’on est mi-novembre et que j’ai de nouveau énormément de choses à faire. Quand puis-je vous rencontrer ? » (Maicha, étudiante/assistante sociale)
Cette période est difficile pour les étudiants à plusieurs niveaux : gestion des travaux, rythme effréné des cours, pressions des parents, journées très longues et denses, travaux à domicile qui semblent s’ajouter au reste. Les étudiants qui prennent rendez-vous arrivent pour la plupart figés par une peur qu’ils ressentent sans trop pouvoir y répondre. Mon rôle est de « recontextualiser » cette charge de travail et celle plus émotionnelle. Ce fameux B… a bon dos ! J’insiste dans les entretiens sur un point capital en termes d’accompagnement pédagogique : la continuité. En d’autres termes, pour l’étudiant, c’est rester en contact avec ses cours, oser (se) poser des questions, ne pas s’évaluer sur le nombre d’heures passées sur un cours, mais plutôt être attentif à comment il se l’est approprié : est-ce qu’il peut réexpliquer les termes de son cours ? Les lier ? Les réutiliser ? Est-il au courant des critères et des modalités d’évaluation ?…
Est-ce ici que j’ouvre les grandes questions existentielles « Et si… ? », comme lors de cet entretien avec une étudiante en soins infirmiers : « Imaginons que j’ai 8 en anatomie, qu’hygiène, je ne le passe pas, que microbio, je le passe en juin, parce que je n’aurai pas le temps de voir la deuxième partie. Est-ce que je devrai tout repasser en juin ou seulement une partie de l’UE ??? » Bref, je suis accompagnatrice pédagogique, et je m’adapte à toute question, aussi précise soit-elle.
Samedi 5 décembre
« Il y a deux semaines, j’ai pris la décision de changer d’études. J’étudie à l’université et je pense m’orienter vers des études pour devenir institutrice primaire. J’ai plusieurs questions à vous poser, notamment sur les possibilités en tant qu’élève libre. » (Fanny, étudiante/master en langues germaniques)
« Je vous écris, car j’ai un petit souci au niveau de mes études : j’ai commencé mon stage ce lundi et je m’aperçois que je ne me sens pas à ma place. J’aimerais prendre rendez-vous avec vous afin de m’aider et de vous expliquer ma situation en détail. » (Yassine, étudiant/sciences économiques)
Derrière les quelques mots d’un mail se révèlent souvent, lors des entretiens, des réalités complexes où les enjeux se croisent pour l’étudiant (l’avenir, les parents, les choix, la vie privée…). Les questions autour de l’orientation sont une part considérable de mon travail d’accompagnement. Il se fait souvent de manière conjointe avec mon binôme du service social, car il débouche sur des questions « juridico-pratiquo-socio-familio-financières ».
Mardi 5 janvier
C’est la rentrée… Entre collègues, on peut échanger sur nos vacances. Pour les étudiants du supérieur, ces vacances d’hiver n’ont plus le même gout : entre la buche chez mamie et le syllabus de psycho, entre le Nouvel An (négocié durement avec les parents) et les exercices de chimie, ils reviennent avec un « ça a passé vite ». Pour certains, ce temps d’arrêt est aussi un déclencheur de réflexions.
« Je vous envoie ce mail, car je vis une période pas facile à gérer pour le moment. J’ai arrêté mon stage de troisième année, car je ne me sens vraiment pas bien. J’ai perdu le gout de donner cours, mais aussi de m’amuser et de rigoler. J’ai eu un rendez-vous avec ma directrice ce matin qui m’a donné votre adresse mail pour que je prenne contact avec vous. » (Pierre, étudiant/enseignant en éducation physique)
Selon la tradition depuis maintenant cinq ans, l’année nouvelle propose ses modules « Accroche ! » aux étudiants de plusieurs établissements (HELMo, ESA St-Luc, HEC/ULG, Haute École Charlemagne/Rivageois, Hennalux).
« Accroche ! » est un projet né du terrain. Il s’adresse à tout étudiant qui a décidé d’interrompre son parcours de formation, car il est en questionnement sur son choix d’orientation. Il s’agit d’un dispositif de groupe permettant, durant 6 semaines, de s’arrêter, découvrir, explorer, questionner son orientation, construire son projet personnel et de formation.
« J’ai voulu me lancer dans des études d’assistante sociale après avoir arrêté ma dernière année de soins infirmiers. Malheureusement, je ne m’y sens pas non plus à ma place. J’ai entendu parler du projet Accroche et je serais intéressée d’y participer. » (Joanne, étudiante/assistante sociale)
Vendredi 12 février
C’est l’après-session… L’heure vient aux ajustements de méthodes. Les équipes pédagogiques renvoient les étudiants vers le service d’accompagnement pédagogique.
« Je suis étudiant en Bac 1 technicocommercial. Je vous envoie ce mail suite au conseil d’un de mes professeurs. Elle a remarqué que j’avais eu beaucoup de mal pour préparer et faire mes examens de Noël. Comme je recommence mon année, elle m’a conseillé de vous envoyer ce mail. » (Bastien, étudiant/technicocommercial)
Je constate qu’en passant dans mes différentes implantations, beaucoup d’enseignants m’interpellent : « Je t’ai envoyé un étudiant, il a tout raté, j’espère que tu pourras l’aider. » Entre être flattée (« Chouette, on m’identifie. ») et être sous pression (comme investie d’une mission), j’essaie de caser tous ces rendez-vous dans mon agenda.
Lors de ces entretiens, il sera temps de remotiver ceux pour qui cette session a été compliquée… L’année n’est pas finie.
Dimanche 13 mars
« Bonsoir, Madame, actuellement en BAC3, je voulais vous demander si c’est possible de prendre un rendez-vous avec vous pour parler de mon TFE (structure). Vous m’avez déjà accompagnée en BAC1 » (Laurie, étudiante/assistante sociale).
« Je prends contact avec vous suite à la demande de ma promotrice. Je suis en BAC3 Régendat français. Suite à de nombreux problèmes familiaux survenus au cours de cette année, je n’ai pas su terminer la partie théorique de mon TFE à temps. Pouvez-vous m’aider ? » (Maurine, étudiante/enseignante en français)
L’accompagnement des TFE fait également partie des demandes des étudiants. L’enjeu est d’abord de bien clarifier mon rôle.
Ce que je ne fais pas : corriger l’orthographe, photocopier, lire et résumer les livres, retranscrire la biographie selon les normes...
Ce qu’on peut faire ensemble : organisation des idées, recherche documentaire, structure des chapitres, travail sur le fil conducteur, relais avec le promoteur du TFE...
Je me surprends parfois à avoir une idée dans un autre cadre (un autre rendez-vous, une balade dans une librairie, un reportage à la TV, une discussion avec les collègues) et à attendre le prochain rendez-vous, fixé avec impatience, pour en faire part à l’étudiant et voir comment il a avancé.