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Accueil / Politique / Prises de position / Prises de position Archives / L’immersion, nouvel élitisme

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L’immersion linguistique a la cote. Pourtant, en misant sur le tout aux langues, le danger est grand de voir l’école détournée et instrumentalisée à des fins marchandes.

La connaissance des langues est aujourd’hui posée comme un enjeu majeur par différents acteurs sociaux : les entreprises et les médias stigmatisent régulièrement la faible connaissance en langues des francophones, les familles cherchent à tout prix à pallier les dites faiblesses, les écoles veulent répondre à la demande principalement en proposant l’immersion et récemment des déclarations communautaires sont venues attiser les rivalités belgo-belges.

Dans ce contexte, l’école - comme c’est souvent le cas dans d’autres domaines - est pointée du doigt et est investie comme le lieu qui va donner la réponse au mal francophone.

La question centrale porte précisément sur ce lieu d’opportunité qu’est l’école dans l’apprentissage des langues. La fonction première de l’école dans la société est de permettre à tous les enfants d’acquérir les savoirs et compétences de base qui les aideront à prendre place dans la société et à y agir en citoyens responsables. Les langues font partie du cursus de l’élève au même titre que d’autres cours. En misant sur le tout aux langues, le danger est grand de voir l’école détournée et instrumentalisée à des fins marchandes. Ainsi selon certains, le bilinguisme serait à même de faire baisser le taux de chômage actuel. Rien n’est moins sûr, la discrimination ethnique est bien plus forte que la discrimination linguistique pour trouver un emploi. Faut-il rappeler que les finalités de l’école obligatoire ne sont pas l’accès à l’emploi ?

A la vérité, il y a fort à parier que le jeune francophone n’est ni meilleur ni pire en langues qu’il ne l’est dans d’autres disciplines. Les performances en langues des francophones sont à la mesure de leurs performances dans d’autres disciplines (mathématiques, sciences, langue maternelle) dévoilées par les tests internationaux du style Pisa. Nous avons des élèves qui réussissent très bien et même mieux que dans d’autres systèmes scolaires, mais aussi d’autres qui ratent dramatiquement. Et c’est bien là que l’école échoue dans ses missions et principalement vis-à-vis des jeunes les plus défavorisés culturellement et économiquement. Ne nous trompons pas de projet pour l’école !

Notre deuxième réflexion concerne la réponse en vogue apportée actuellement par l’apprentissage par immersion.

Dans un système de marché scolaire où domine la liberté d’offre et de la demande, toutes les écoles sont placées en situation de concurrence car elles se disputent les mêmes « clients » que sont les élèves. La modification de l’offre scolaire est un des leviers dont dispose une école pour s’attirer un certain nombre d’élèves mais également pour modifier la qualité du public recherché. Dans le contexte tel que nous l’avons décrit, tous les éléments sont réunis pour qu’une école propose l’immersion pour se mettre à l’abri de la concurrence. Face à cette nouvelle offre, seuls les parents avertis accèdent à l’immersion. En cela l’enseignement par immersion devient un bien positionnel car il alimente des stratégies de distinction comme a pu le faire le latin auparavant. L’enseignement par immersion est élitiste et accroît les inégalités, il ne bénéficie qu’à une petite partie de la population.

L’avant-projet de décret du 16 octobre 2006 portant sur l’apprentissage par immersion est un puissant révélateur des incohérences de l’organisation de notre système scolaire mais aussi de l’impuissance du gouvernement à réguler quoi que ce soit. Le gouvernement actuel a bâti son Contrat pour l’école sur deux objectifs : efficacité et équité. Tous les indicateurs sont dans le rouge par rapport à ces deux critères. A aucun endroit du texte, ce souci d’équité n’apparaît. Certes, le décret fixe quelques balises notamment en termes d’inscription et de sélection du public, mais nous savons pertinemment que personne n’est en mesure de contrôler l’application de ces mesures dans un système décentralisé comme le nôtre. En labellisant l’immersion linguistique, le gouvernement se décrédibilise au regard de son propre programme.

On pourrait encore taper sur le clou en pointant l’insoluble question du recrutement des enseignants qui, selon l’avant-projet, ne doivent pas être des locuteurs natifs, ce qui est un non-sens.

Il est paradoxal que les langues, vecteurs de la pensée et de la communication entre les hommes, deviennent un tel enjeu tout en ne bénéficiant qu’aux individus pourvus culturellement et économiquement. Face aux défis de l’apprentissage des langues pour tous, nous posons deux balises : il faut redonner aux langues leur juste place dans le parcours de l’élève et ensuite rappeler que, comme pour toutes les matières enseignées, l’école seule est incapable de relever ce défi.

Alors que les spécialistes prônent l’apprentissage précoce des langues, celui-ci ne débute de manière obligatoire qu’en 5e primaire en Wallonie ! Selon les mêmes spécialistes, cette exposition tardive à une langue étrangère est préjudiciable à une bonne maîtrise ultérieure. La sensibilisation aux langues doit débuter de manière précoce, des méthodes avérées (Eveil aux langues) existent pour lesquelles une formation poussée en langues n’est pas nécessaire. Par la suite, deux à trois heures de cours de langues devraient trouver leur place dans la grille-horaire dans l’enseignement fondamental. Cela nécessiterait alors une véritable formation initiale et continuée de qualité, adaptée aux niveaux d’âges des enfants. De même, il y aurait lieu de porter une attention spécifique à d’autres langues que le néerlandais et l’anglais. N’oublions pas qu’un élève sur deux à Bruxelles est originaire d’un milieu bilingue provenant des anciennes et nouvelles migrations, et que ce bilinguisme de fait est non seulement ignoré par l’école mais traduit d’office en échec scolaire !

D’autres propositions existent et mériteraient d’être explorées mais avant cela nous plaidons pour que les langues fassent l’objet d’une véritable consultation en Communauté française afin de responsabiliser tous les acteurs. A cet échelon, prenons le temps de définir ce que nous voulons ensemble pour l’apprentissage des langues.