Le système intégré « Tenter Plus [1] » est une formation initiale pour des futurs régents en sciences humaines dont les méthodes s’inspirent des pédagogies Freinet et Institutionnelle. Tentons ici d’en saisir quelques traits caractéristiques afin d’extraire ce qui permet aux étudiants de devenir des professionnels de l’enseignement.
Comme tout programme de formation de l’enseignement supérieur, le système « Tenter Plus » est décliné en termes d’objectifs et d’activités d’enseignement. Ce qui le distingue d’abord des autres formations initiales pour les enseignants apparait clairement dans son intitulé « Tenter Plus »… On peut l’entendre comme le fait d’augmenter le désir (des étudiants et des enseignants), de donner envie et/ou comme l’occasion d’essayer davantage.
Concrètement, les étudiants font partie d’une classe verticale coopérative dont le cadre est soigné. L’horaire est organisé de manière à leur donner accès à des temps différents :
des temps d’expression, de communication, d’échange ;
des temps de travail et d’apprentissage organisés de manière à garder un équilibre entre travail individuel et travail collectif, entre activités fonctionnelles et activités de structuration, entre projets verticaux et projets par classe-année, entre activités dirigées et activités autogérées ;
des temps d’organisation, de régulation et de décision collectives dont le conseil de tous est la pierre d’achoppement. Chaque mois, chaque membre de la classe verticale coopérative a le pouvoir de remettre en question et de négocier avec l’ensemble des autres membres n’importe quelle règle d’organisation. Seule la loi de la classe : « Chacun est tenu de s’impliquer dans le travail et chacun est sujet, nul ne peut être considéré comme objet. » n’est pas négociable.
La finalité recherchée est la transformation identitaire des jeunes. Le « passage » d’un statut d’étudiant à celui d’enseignant exige des ruptures importantes. En effet, entrer dans un projet professionnel, c’est établir un choix en ce qui concerne sa place future dans la société et la manière dont on souhaite la tenir. Or, les professeurs responsables au sein du système Tenter Plus postulent que, pour que l’école parvienne à donner aux jeunes le désir d’apprendre, pour qu’elle ne creuse pas davantage les inégalités sociales, pour que le nombre d’échecs scolaires diminue, il est impératif que les enseignants considèrent le savoir comme un construit, qu’ils voient leur mission comme une aide à l’apprentissage plutôt que comme un enseignement, qu’ils interrogent les situations d’apprentissage plutôt que les qualités intrinsèques des élèves pour expliquer l’échec. C’est pour ces raisons que l’organisation de la classe verticale coopérative incite les étudiants à s’impliquer subjectivement dans un réel processus de (trans)formation [2], reconnaissant qui ils sont en arrivant, tenant compte de chacun d’entre eux, et cherchant, avec eux, le chemin le plus adéquat pour surmonter les difficultés afin qu’ils parviennent à répondre à l’exigence [3].
Les apprentissages sont souvent abordés dans le cadre de projets menés en groupe de production. La production demandée permet aux étudiants de trouver le sens, d’assurer la fonctionnalité des apprentissages. C’est le piège à désir. Dans le cadre de ces projets, les étudiants sont incités à dépasser des objectifs-obstacles définis par les responsables et nécessaires à l’atteinte du but final.
Le chemin passe souvent par le collectif et la verticalité.
Le collectif
Le pilotage des projets et les décisions nécessaires à la production sont essentiellement menés de manière collective. Cela implique :
une répartition des responsabilités et un partage des tâches. Tour à tour, d’un projet à l’autre, les étudiants peuvent s’essayer au pouvoir inhérent à différentes responsabilités : présider une séance de travail, en assurer le secrétariat, organiser l’utilisation du matériel commun, archiver les documents produits… Les responsabilités se prennent sur base volontaire et sont tournantes ;
de discuter, d’argumenter, d’entendre l’avis de l’autre même s’il est opposé au mien, d’inventer des moyens de prise de décisions, de les respecter…, poussant chacun à trouver un équilibre entre ses propres envies ou avis et l’intérêt du groupe, du collectif au vu du but à atteindre.
La verticalité
Le système mise également sur le travail entre des étudiants qui ne sont pas dans la même année d’étude. Pour commencer, les étudiants de 2e et 3e années accueillent les étudiants de 1res, organisant dans ce cadre un parrainage individuel. Ensuite, dès la rentrée, un court projet se met en place, traitant d’étude du milieu, mais mené en groupes de production hétérogènes, encadrés par des professeurs responsables. Ce dispositif ne laisse aucun nouvel arrivé sur le carreau tout en lui offrant la sécurité de travailler côte à côte avec des pairs qui peuvent le guider dans les tâches, le rassurer, lui expliquer autrement, facilitant ainsi l’essai de chacun... Il permet aux étudiants de 2e et 3e années de se mettre dans une position de tuteur, faisant valoir leur expériences et connaissances tout en continuant à apprendre, occasion valorisante de se rendre compte du chemin déjà parcouru. Il exige aussi des professeurs responsables un partage du pouvoir que leur confère leur expertise. Ils ne sont pas les seuls experts… ils concoctent un contrat intégrant une production à réaliser, soignent le cadre de travail, et mettent en évidence, grâce à des moments de structuration, les apprentissages effectués dans l’action par les groupes.
Vers d’autres programmes de formation…
En résumé, ce qui permet aux étudiants entrant dans le système Tenter Plus de devenir des professionnels par un processus de (trans)formation, ce sont :
le cadre organisateur qui prévoit des moments différents pour répondre aux besoins des étudiants (besoin d’expression, besoin d’affiliation, besoin de sécurité, besoin d’épanouissement…) ;
les projets mobilisateurs menés en groupes de production permettant d’apprendre en situation, d’apprendre « en faisant » ;
le pouvoir partagé, offrant à tous l’occasion de s’engager, de changer de place et de se heurter à ses propres difficultés sans se mettre trop en danger afin de les dépasser ;
le principe d’isomorphisme : les professeurs responsables pratiquent avec leurs étudiants ce qu’ils leur demandent de pratiquer dans leurs classes, suivant en cela Fernand Oury : « Ne rien dire que nous n’ayons fait »
C’est donc bien d’un ensemble intégré dont il s’agit. Les activités ne sont pas juxtaposées, les équilibres sont réfléchis de manière globale. Cela suppose que l’équipe de professeurs responsables construise le programme de manière concertée, et que les professeurs échangent régulièrement durant sa mise en œuvre pour en assurer la cohérence et l’adaptation continuelle.
Le programme de formation devient ainsi la concrétisation de l’appropriation, par l’équipe, des principes sociopédagogiques et des valeurs partagées.
[2] Ce paragraphe est largement inspiré de : « Travailler l’habitus dans un collectif acculturant » de F. Budo et J. Cornet, présentation au CIFEN-Université d’été 2012.
[3] En référence à la double exigence « Reconnaitre et exiger » proposée par J. Cornet et N. De Smet dans « Enseigner pour émanciper, émanciper pour apprendre », ESF Éditeur, 2013