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Accueil / Politique / Prises de position / Prises de position 2013 / La construction de la réforme de l’enseignement secondaire flamand : un modèle à suivre ?

Sommes-nous condamnés en Belgique francophone à une dualisation croissante et incessante de notre enseignement ? Nous venons d’assister, sur deux législatures, à deux manières de faire politiques fort différentes, mais force est de constater que la lutte contre les inégalités scolaires stagne et ne satisfait pas les aspirations du mouvement sociopédagogique ChanGements pour l’égalité (CGé).

Le gouvernement précédent, sous une houlette socialiste (Arena puis Dupont), a défendu une vision top-down, fortement idéologique, de la gouvernance éducative. Le tour de force de la ministre Arena a été de réunir en début de mandat les différents acteurs autour de l’école avant de lancer son Contrat pour l’École (2005), dont les objectifs étaient ambitieux. La ministre Simonet (CDh) (et maintenant Schyns) a davantage mené une politique de proximité, en procédant par projets, en accompagnant les équipes. Le projet « Décolâge ! » en est la meilleure illustration. Nous rejoignons l’analyse des responsables politiques quant à la relative efficacité de notre système scolaire et aux profondes inégalités qui y subsistent. Pourtant, face à ces deux méthodes fort différentes, nous ne pouvons être que déçus et inquiets. À une vision « structuraliste » de la gestion éducative par réformes a succédé une politique plus « actionnaliste », plus collaborative. Avec quelle ligne conductrice dans la durée, quels impacts sur les acteurs de terrain et quels résultats ?
Faut-il pour autant mettre en cause les seuls hommes et femmes politiques ? Ou plutôt le phagocytage par des groupes catégoriels, partisans, qui empêchent toute réforme de fond dans l’enseignement francophone en restant pris par leurs propres intérêts plutôt que par la défense du bien commun ? Notre enseignement francophone est malade de son fractionnement, de ses luttes intestines entre réseaux et entre établissements. L’équation centrale reste de concilier liberté d’enseignement et recherche d’égalité pour tous.

Regardons vers le nord !

Plutôt que de prendre pour modèle les systèmes nordiques, allons voir de l’autre côté de la frontière linguistique ce qui vient de se produire au niveau de l’enseignement secondaire [1] . Penchons-nous sur ce qui a permis d’engranger une réforme à priori d’envergure et analysons si nous devons nous en inspirer. N’oublions pas que nous avons des racines communes ; l’enseignement est communautarisé depuis 1989, mais nous partageons la même Constitution avec des contraintes identiques, dans un paysage complexe également, car politiquement plus volatile à droite, faut-il le rappeler. L’état de santé du système scolaire flamand ne vaut pas beaucoup mieux que le nôtre. En termes d’efficacité, même s’il reste dans les meilleurs, les résultats de nos amis flamands aux tests internationaux PISA sont en baisse depuis les années 2000 (ceci surprendra le lecteur francophone). En termes d’égalité, l’enseignement flamand souffre des mêmes maux que le nôtre : l’écart est gigantesque entre ceux qui réussissent bien et les élèves faibles provenant de milieux défavorisés. Leur système scolaire est également caractérisé par une orientation précoce et des filières de relégation. 20 % des élèves sortent de l’enseignement secondaire sans diplôme !
Dans un premier temps, nous présenterons rapidement cette réforme dans ses grandes lignes ; nous tenterons ensuite de comprendre comment cette réforme a pu voir le jour et enfin nous chercherons les enseignements à en tirer. En cette période préélectorale, le processus ayant mené à cette réforme nous intéresse ici à la limite davantage que le produit.

Les grandes lignes de la réforme

Aujourd’hui en Flandre, le choix entre le général, le technique ou le professionnel se fait dès l’entame du secondaire. La réforme retarde ce choix de deux ans. À la rentrée 2014, la plupart des cours deviendront communs ; seules quelques heures (5 heures en première et 7 heures en deuxième) seront différenciées. Ce premier degré sera plus large et comprendra des cours généraux et techniques.
La séparation rigide entre enseignement général, technique et professionnel disparaitra en troisième année au profit de cinq domaines tels que sciences et technique ou encore langues et culture, qui prépareront aussi bien au marché du travail qu’à l’enseignement supérieur. Cette nouvelle structure peut s’illustrer par une matrice où se croisent un axe horizontal (les premier, deuxième et troisième degrés) et un axe vertical (des orientations professionnalisantes ou menant à l’enseignement supérieur). L’objectif est de faire disparaitre les filières de relégation.

Petit historique [2]

Cette réforme a déjà bien vécu. Elle est née en 1999 lorsque la ministre Vanderpoorten (Open VLD) ouvre un chantier concernant l’enseignement secondaire. Une commission appelée « Accent op talent » réunit un large éventail de représentants des réseaux, des organisations des classes moyennes, des partenaires sociaux et des experts de l’enseignement. Même si cette commission ne déboucha pas sur des propositions concrètes, les premières graines étaient semées [3].
En 2004, c’est le ministre Vandenbroucke (SP.A) qui reprend le flambeau et confie la direction de la commission à Georges Monard qui semble y avoir joué un rôle majeur. La méthode de travail comportait deux étapes : un petit groupe de technocrates travaillait en chambre puis faisait relire et approuver ses textes à un groupe plus large. En 2008, le rapport de la commission forme déjà la base de la réforme actuelle.
En 2009, Pascal Smet (toujours SP.A) prend en charge le portefeuille de l’enseignement au sein d’un gouvernement où l’entente n’est d’emblée pas évidente puisque cohabitant avec le CD & V et la N-VA. Il poursuit les travaux entamés par ses prédécesseurs en mettant au centre de sa politique la lutte contre la culture de l’échec et la valorisation des filières qualifiantes et professionnelles. La dernière ligne droite (mai/juin 2013) est marquée par une crise profonde au gouvernement flamand causée par la NV-A, qui craint un nivèlement par le bas du niveau des études. L’appui du puissant patronat flamand et des responsables de l’enseignement catholique sauve le gouvernement ainsi que la réforme prévue.

Enseignements à tirer

Ce qui saute aux yeux, c’est d’abord la dimension temporelle : près de 14 années de travail (1999-2013) avant l’aboutissement ! Le temps « pédagogique » n’est clairement pas le temps politique. Pour mener à bien un tel projet, il s’agit de se donner du temps, se mettre d’accord sur des constats, assurer les relais d’un gouvernement à l’autre et ne pas vouloir à tout prix marquer de son empreinte la législature en cours. Il faut également faire fi de ses différentes casquettes politiques, idéologiques, ‘catégorielles’. Si l’on veut avoir un impact systémique, il est indispensable de partager une vision de société, des objectifs, une méthode d’action.
Deuxième élément intéressant : au-delà du système, il s’agit de faire toute la place aux acteurs, aux personnes représentant cette « transcendance » commune, non pas asexuées politiques, mais douées pour fédérer les énergies. Inutile de citer des noms, mais pointons leurs différentes appartenances : des politiques, des fonctionnaires de l’administration (tiens donc), un bureau d’études, un expert de l’OCDE et des représentants des réseaux de l’enseignement. Bref, un « think tank » pas uniquement issu du sérail de l’enseignement [4] .
Troisième élément que nous pointons : l’appui du réseau de l’enseignement catholique, même si les mauvaises langues ont dit que cette réforme renforce encore sa position déjà très dominante. N’oublions pas qu’en Flandre comme chez nous, l’enseignement catholique a un poids stratégique énorme et que rien ne peut changer sans lui [5] .
Enfin, une méthode de travail que l’on pourrait qualifier de pragmatique (propre à la culture germanique ?) et certainement une volonté d’aboutir. Un sens incontestable de l’urgence face aux constats posés, des ressources venant d’une analyse experte de ce qui « marche » dans d’autres systèmes scolaires, notamment un tronc commun dont on sait qu’il peut être porteur, à terme, de plus d’égalité.

Les limites du projet

Il ne faut pour autant pas imaginer que cela s’est déroulé sans heurts. Sous la pression des différents responsables politiques, le texte original s’est dilué et certains en Flandre parlent de « boite vide ». Les écoles peuvent en partie choisir quels cours elles inscriront au sein de ce premier degré élargi. La concurrence entre établissements n’est pas abolie et maintient une hiérarchie sur le marché scolaire.
Autre bémol de taille : dans nos lectures, nous n’avons trouvé que peu de traces de consultation en profondeur des aspirations des acteurs de l’enseignement. Le rapport Monard comportait pourtant une facette sur le métier d’enseignement, mais dans quelle mesure les acteurs ont-ils été concertés ? Nous nous situons clairement ici dans une réforme avec une vision top down et l’adhésion des acteurs sera prépondérante pour assurer son succès [6] . Selon une enquête menée par W. Van den Broeck, psychologue à la VUB, une large majorité des enseignants serait opposée à la réforme. Ce type d’enquête est néanmoins fortement critiqué, car comporterait nombre de biais méthodologiques [7] .
La crise économique se prolonge et les perspectives budgétaires s’assombrissent pour la Fédération Wallonie-Bruxelles. L’avenir de milliers de jeunes est en jeu. Il y a urgence à décider ce que nous voulons faire ensemble de notre enseignement et du modèle de société que nous souhaitons construire. Il est impossible à ce jour de prédire quels seront les impacts d’une telle réforme structurelle en Flandre, mais retenons principalement à ce stade deux éléments : le principe de continuité, de cohérence au-delà des législatures et l’accord, la volonté de tous les acteurs d’œuvrer dans la même direction.

Cet article est publié dans la brochure « Dossiers de l’Epol 2013 » que vous retrouverez en pièce jointe ci-dessous.

notes:

[1Ce n’est pas la première fois que nous nous penchons sur le sujet, voir Vlaanderen boven, Traces de changements, n°191, CGé, 2009.

[2Cet historique s’inspire d’un article du Knack ‘Achter de schermen van de onderwijshervorming, de onderwijsfluisteraars’ , 12 juin 2013.

[3Avec quelques années d’avance, cela fait étrangement penser à l’initiative de la ministre Arena mentionnée plus haut intitulée ‘Contrat pour l’éducation’, 2004.

[4Nous rejoignons ici une idée forte émise par F. Dubet : pour refonder l’Ecole, celle-ci ne doit pas être confisquée par les professionnels de l’école et ses corporations. Voir Refonder une institution, Cahiers pédagogiques n° 500, nov. 2012.

[5Voir L’enfer scolaire pavé de bonnes intentions catholiques, J. Cornet, Revue Politique, Hors Série n° 15, 2010.

[6Nous renvoyons le lecteur intéressé au texte toujours d’actualité de Perrenoud ‘Six façons éprouvées de faire échouer une reforme scolaire’. Pointons-y entre autres ‘Ne pas associer les acteurs au pilotage de la réforme’, ‘Ignorer la réalité du travail des enseignants’ ou encore ‘Sous-estimer le pouvoir des relais’.

[7Wat vinden leerkrachten van de onderwijshervorming ? Voir http://www.indemarge.be/survey-methodologie/wat-vinden-leerkrachten-van-de-onderwijshervorming/ Site consulté le 15/07/2013.

Pièces jointes