En Wallonie et à Bruxelles, l’enseignement flamand est souvent perçu comme plus efficient que l’enseignement francophone. En témoignent les files au moment des inscriptions dans les écoles néerlandophones bruxelloises, dont certaines sont désormais fréquentées par une majorité d’élèves de langue française. Cette idée n’est pas dénuée de fondement.
Nul n’ignore le grand écart de la Belgique dans les statistiques produites par les enquêtes PISA. Dans toutes les disciplines mesurées – mathématiques, lecture, sciences –, la position moyenne des élèves flamands les situe en tête du classement des nations européennes, aux côtés de pays comme la Finlande. Pour sa part, la Communauté française se traine péniblement en queue de peloton, en compagnie de la Grèce et du Portugal.
Sans doute cette situation s’explique-t-elle en partie par les différences de structure sociale entre les deux Communautés de Belgique. Mais elle est aussi très certainement liée à la grande inégalité nord-sud en matière de financement de l’enseignement. Pour s’en convaincre, il suffit d’entrer dans une école flamande et dans une école francophone, de comparer leurs équipements, leurs mobiliers, la qualité de l’entretien... Pour l’année scolaire 2005-2006, les données officielles affichent une dépense moyenne de 3776 € par élève dans l’enseignement fondamental flamand, contre 3078 € dans l’enseignement francophone. Soit, un écart de 22,7 % ! Dans le secondaire, l’écart, toujours en faveur de la Flandre, est de 18,1 %.
Même inégalité sociale
Tout est-il donc pour le mieux dans le monde de l’enseignement au nord de la frontière linguistique ? Hélas, il en va des performances scolaires comme des revenus et des fortunes : de bonnes moyennes peuvent camoufler d’importantes disparités. Lorsqu’on classe les systèmes éducatifs ouest européens, non plus selon leurs performances moyennes, mais selon le degré de liaison de ces performances à l’origine sociale des élèves, alors la fracture nord-sud de l’école belge s’efface devant une réalité plus triste encore : nos deux Communautés sont les championnes de l’inégalité sociale dans l’enseignement. Et cela est vrai, quel que soit l’indicateur utilisé pour mesurer l’équité de l’enseignement. Impossible ici de les mentionner tous. Contentons-nous d’un exemple concret.
Sur base des données de l’enquête PISA, on peut calculer les performances en mathématiques des 25 % d’élèves appartenant aux couches sociales les plus favorisées et celles des 25 % d’élèves les plus pauvres. La différence entre ces deux résultats est une mesure inverse du degré d’équité de l’enseignement. Parmi les quinze pays d’Europe occidentale, c’est en Finlande que cette différence est la plus faible : dans ce pays, on n’observe « que » 71 points d’écarts entre les deux quartiles socioéconomiques extrêmes. Les autres pays se situent presque tous en dessous de 100 points d’écart ou très près de 100 points. Il n’y a que trois exceptions notables : l’Allemagne avec 120 points d’écart, la Communauté flamande de Belgique avec 123 points et la Communauté française avec 138 points. En d’autres termes, à l’intérieur de l’enseignement flamand comme à l’intérieur de l’enseignement francophone, les écarts entre les enfants de « riches » et les enfants de « pauvres » sont plus de deux fois supérieurs à l’écart – de l’ordre de cinquante points – qui sépare nos deux Communautés.
Comme c’est le cas dans d’autres pays, les inégalités sociales à l’école s’observent, en Flandre, dès l’enseignement fondamental. En sixième année primaire, un enfant de Flandre a huit fois plus de chances d’accuser un retard scolaire lorsque sa mère n’a pas de diplôme du secondaire que si elle a effectué des études universitaires. Pareillement, un enfant issu de l’immigration maghrébine ou du sud de l’Europe a plus de deux fois plus de chance d’accuser un retard scolaire qu’un enfant autochtone.
Mêmes causes d’iniquité
Les très grandes différences de performances relevées entre élèves autochtones et allochtones constituent d’ailleurs l’une des caractéristiques les plus inquiétantes de l’enseignement flamand. 70 % des jeunes issus de l’immigration sont déjà orientés vers l’enseignement professionnel dès la quatrième année, contre 20 % chez les jeunes de souche flamande. Dans un rapport publié en 2003, l’OCDE a tiré la sonnette d’alarme, soulignant qu’aucun des pays ayant participé à l’enquête PISA ne présentait d’aussi grands écarts entre allochtones et autochtones que la Communauté flamande de Belgique. Qui plus est, ce sont en particulier les élèves allochtones de deuxième génération – qui sont nés en Belgique et ont donc effectué toute leur scolarité ici – qui présentent les résultats les plus mauvais.
Certaines études ont cependant montré que cette situation s’expliquait principalement par l’appartenance sociale des jeunes, bien plus que par des facteurs proprement culturels, comme la langue maternelle. En d’autres termes, en Flandre comme ailleurs, ce sont les inégalités sociales qui expliquent les inégalités scolaires selon le statut d’immigration, plutôt que l’inverse.
Comment comprendre le fait que nos deux systèmes d’enseignement, qui vivent leur vie en toute indépendance depuis vingt ans, partagent ce triste privilège d’être les champions de l’iniquité scolaire ? Depuis la communautarisation de 1990, l’enseignement flamand et l’enseignement francophone se sont éloignés l’un de l’autre sur pas mal de points. Nous avons déjà évoqué le grand écart en matière de financement et de programmes, qui contribue sans doute, en plus des structures sociales particulières à chaque région, à expliquer les différences de performances scolaires moyennes. Mais d’autres spécificités, davantage ancrées dans nos traditions belges, n’ont guère subi les assauts du temps. Deux éléments en particulier, d’ailleurs fortement liés entre eux, constituent encore aujourd’hui les caractéristiques communes des systèmes d’enseignement belges : premièrement le libre marché scolaire, deuxièmement l’organisation de l’enseignement secondaire en filières hiérarchisées, qu’il faut relier à la pratique systématique d’une orientation basée sur l’échec scolaire.
Le marché scolaire
En Flandre, comme en Communauté française, l’enseignement est organisé sur le mode d’un « quasi-marché » : liberté de la demande du côté de clients-parents attachés au libre choix ; liberté de l’offre du côté d’écoles et de réseaux en forte concurrence mutuelle. Pour des raisons désormais largement analysées, ceci contribue à produire une double ségrégation dans le tissu scolaire : ségrégation sociale et ségrégation selon le « niveau » des élèves.
Le ministre flamand de l’éducation, Frank VANDENBROUCKE, semble conscient du problème mais, tout comme ses collègues francophones, Maria ARENA et Christian DUPONT, il bute sur de vives résistances de l’enseignement catholique et de certains parents. On observe néanmoins quelques percées. Ainsi, une expérience fort proche de l’idée francophone des « bassins scolaires » est-elle actuellement en cours dans certaines villes flamandes, dans le cadre du décret « GOK ». [1]
La deuxième caractéristique que l’enseignement flamand partage avec notre enseignement francophone, c’est que, dès l’âge de douze ans, on commence à pratiquer la sélection des élèves vers des filières ou des écoles hiérarchisées. Certes, l’organisation formelle d’un enseignement qualifiant est là aussi repoussée jusqu’en 3e année, à 14 ans, mais nul n’est dupe. La plupart des établissements secondaires se spécialisent dans l’une ou l’autre de ces filières et c’est donc bien dès la sortie de l’école primaire que commence le choix : aller vers l’enseignement général ou s’orienter vers le technique et/ou le professionnel.
On notera toutefois une différence avec la Communauté française. En Flandre, à l’intérieur de l’école secondaire, l’échec scolaire se traduit plus souvent par une réorientation vers les filières qualifiantes alors que, dans l’enseignement francophone, on observe davantage de redoublements à l’intérieur de la filière générale. Cela se traduit par une sélection plus précoce et donc une plus forte participation à l’enseignement qualifiant dans les tranches d’âge de 14-15 ans. Par contre, cette sélection se fait, tout comme dans l’enseignement francophone, essentiellement sur base de l’origine sociale des élèves. Ainsi a-t-on pu observer qu’à 15 ans, presque 90 % des enfants du décile socioéconomique supérieur participaient encore à l’enseignement général, contre à peine 10 % des enfants du décile inférieur.
Quelles réformes ?
Ici aussi, des réformes sont en préparation. Mais plutôt que d’aller dans le sens d’une prolongation du tronc commun, le ministre a choisi la voie d’une revalorisation de l’enseignement professionnel. Tout dépend évidemment de ce qu’on entend par « revalorisation » : celle demandée par le monde patronal, qui souhaite renforcer les compétences de base pour assurer la flexibilité de sa main d’œuvre ? Ou celle qu’exigerait une réelle démocratisation de l’enseignement, en augmentant la part de la formation générale, afin d’assurer aux futurs citoyens une capacité de comprendre le monde et de prendre part à sa transformation ? Poser la question c’est, malheureusement, presque y répondre...
Nico HIRTT est co-auteur de De School van de ongelijkheid, éditions EPO, 2007.
[1] Gelijke onderwijskans ou Chances égales d’enseignement. Voir à ce sujet l’article Pour plus d’égalité en page 3 de ce numéro.