L’enseignant est seul. Seul dans sa classe. Seul devant les difficultés de ses élèves. Seul face aux difficultés qu’il rencontre inévitablement pour maitriser sa matière, pour penser des dispositifs pertinents, pour comprendre les difficultés des élèves... pour se construire une identité professionnelle. Et si on s’y mettait ensemble ?
Quand je suis devenu enseignant, je venais d’un métier dans lequel on ne pouvait réussir qu’ensemble. Dans le théâtre, le travail de chacun concourt à l’existence d’un même résultat. Ça ne signifie pas que tout le monde pense et travaille collectivement en permanence, mais que chacun sait qu’il doit compter sur les autres pour réussir, et ajuster son propre travail.
En débarquant dans l’enseignement secondaire de transition, j’ai tout de suite été un emmerdeur. Je voulais faire partie d’une équipe qui n’existait pas. Je voulais tout savoir. Je voulais qu’un collègue vienne dans ma classe pour m’observer, me dire ce qu’il pensait de ma manière de donner cours. Je voulais le soutien de l’équipe pour m’aider à gérer certaines classes, qu’on me montre les préparations de mon prédécesseur, le contenu de ses cours. Je voulais savoir ce que mes collègues enseignaient aux élèves auxquels je donnais des cours d’économie. Je voulais savoir comment s’en tiraient mes collègues avec des élèves avec lesquels j’étais en difficulté. Sourires polis ou refus catégoriques, j’ai assez vite eu la réputation du prof qui ne s’en sort pas. Et j’ai compris que j’étais, pour l’essentiel, seul, professionnellement parlant. Mes collègues pouvaient être sympathiques, assurer une convivialité de groupe suffisante pour que globalement la cohabitation sur les lieux du travail soit agréable, mais professionnellement, chacun était seul. Je ne m’y suis jamais résigné.
À quoi bon ?
Nous avons tous des expériences de grandes réunions d’équipe qui n’ont pas servi à grand-chose. Les journées pédagogiques ou les concertations qui étaient auparavant organisées par la direction faisaient office de grands-messes souvent décalées de nos préoccupations. Et nous en sortions nourris de quelques rencontres amicales informelles, mais avec l’impression d’avoir perdu notre temps. Alors à quoi pourrait bien servir ce travail collaboratif obligatoire instauré par le Pacte ?
La grande différence, c’est que son contenu et son organisation sont en grande partie entre nos mains. La direction peut toujours en organiser une partie en fonction des besoins de l’école (plan de pilotage et organisation de l’année). Lorsque l’équipe éducative doit élaborer et rédiger son plan de pilotage, le travail collaboratif organisé à l’initiative de la direction prend plus d’ampleur. Surtout la première fois. C’est du travail en plus, parce que nous n’avions par le passé pas à nous préoccuper de la réflexion sur les stratégies à mettre en œuvre dans notre établissement. Nous en étions informés et les subissions. Mais, c’est aussi du pouvoir collectif en plus, une occasion de pouvoir agir sur les choix qui conditionnent l’exercice de notre métier et les apprentissages des élèves. Cependant, il est essentiel qu’il nous permette réellement d’avoir une influence sur les plans de pilotage. Le décret qui organise le pilotage de l’enseignement en fait d’ailleurs une contrainte pour les chefs d’établissement et les PO qui, si elle n’est pas respectée, conduit mécaniquement au rejet du plan de pilotage par les DCO (délégués aux contrats d’objectifs).
Pour le reste, les enseignants et éducateurs sont libres d’autoorganiser leur travail collaboratif à visée pédagogique pour préparer des cours ensemble, coordonner des projets, organiser des échanges d’expériences. Il n’y a pas de format standard imposé et il peut être effectué dans ou hors de l’établissement. La seule contrainte est qu’il doit être soutenu par la direction. Ce n’est pas du travail en plus si nous parvenons à imposer qu’il réponde à des besoins réels de coordination et de coconstruction de notre travail pour la classe. Il peut même produire du travail en moins quand il nous permet de nous répartir du travail que nous exécutions chacun de notre côté.
Un des enjeux est donc l’équilibre entre ces deux formes de travail collaboratif.
Travailler autrement
Le travail collaboratif donne potentiellement aux enseignants du pouvoir collectif pour l’amélioration des conditions d’apprentissage des élèves et de leur bienêtre au travail. La volonté du décret pilotage est de mobiliser de manière plus collective les équipes éducatives et de leur donner de l’autonomie. Concrètement, cela signifie que le modèle de gestion du personnel dans l’établissement se trouve bouleversé. La place des enseignants et des éducateurs dans l’orientation pédagogique des établissements est renforcée via leur implication dans l’élaboration des plans de pilotage et via leur grande autonomie dans l’organisation de leur travail d’équipe.
Le résultat de ce changement ne s’est évidemment pas réalisé facilement dans tous les établissements. Des PO et des directions ont cherché à garder tout le pouvoir sur ces plans et à instrumentaliser le travail collaboratif en l’orientant vers du travail obligatoire en plus au service de l’école. Des enseignants et des éducateurs se sont méfiés de ce travail supplémentaire dont l’intérêt n’était à priori pas évident.
Par contre, dans certaines écoles, les enseignants ont pu décider de la forme et du contenu de ce travail collaboratif, ils se sont mobilisés autour de leurs difficultés et de celles des élèves, et ils ont pu renforcer leur capacité d’agir sur les apprentissages des élèves.
En effet, au-delà de ces moments de réunions et de décisions plus collectives, le travail collaboratif ouvre de nouvelles possibilités d’organisation du travail. Là où chaque enseignant pensait son travail en fonction de son horaire personnel de cours (quel local, quel cours, quel groupe d’élèves), le travail collaboratif ouvre de nouvelles perspectives, plus collectives, qui peuvent à la fois renforcer chacun dans ses capacités à mieux comprendre les difficultés d’apprentissage des élèves, et permettre à tous de s’appuyer sur les compétences partagées d’un collectif, apprendre de ses collègues, affronter ensemble les difficultés du métier. Mais ces formes de travail plus collectives restent à inventer localement dans les écoles. Ce n’est pas que du temps de réunion. Ça peut aussi être différentes formes de co-enseignement, de l’observation en classe en vue d’analyses de pratiques ou d’échanges d’expérience, des préparations collectives, de la coformation...