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« On ne travaille pas les personnes, mais le milieu. » (Fernand et Jean OURY)

L’heure qui tourne nous cadre. Un peu trop peut-être. C’est la contrainte du weekend. On n’a pas une semaine devant nous. Et ces consignes hurlantes, à l’allure frénétique. Je ne veux rien écrire en ce moment. Je suis assis sur l’herbe avec le soleil qui me tape à la figure. Je suis nostalgique des vacances passées à siroter du pastis, à jouer de la pétanque. Parfois, je me dis : « Qu’est-ce que je fous ici à me former alors que je pourrais m’amuser ailleurs avec mes potes de Liège ? »

Non, non… et oui tiens !

Je ne veux pas suivre la consigne donnée, non pas par rébellion, mais simplement parce que je veux me respecter, m’autoriser à dire « non ! », là, maintenant. Je transgresse. J’aimerais roupiller. Quel festin de feu de dieu ce midi ! Et il n’y a pas de temps pour la sieste dans l’horaire ?! Pourtant, j’écris… Pourquoi ce désir d’écrire avec tout ce poids ?

La rigueur des uns permet d’ouvrir des libertés (et donc aussi la rigueur) des autres. Les affiches remplies de nos représentations sur la rigueur qui donnent de véritables tremplins pour écrire. Les mots (r)assurants des responsables qui nous disent : « Vous avez le temps ! Rien ne presse ! » Ces mots qui libèrent. Et puis, je sais que si je bloque dans l’écriture, je peux demander ces fameux « jokers » qui permettent de faire un appel à l’aide à n’importe qui.

Ce qui m’a donné aussi cette volonté d’écrire, c’est cet écrit partagé. Il y a cette envie d’être fier, de montrer quelque chose au groupe, même des questions en suspens, même deux ou trois phrases. Je sais que le groupe ne me jugera pas, je sais aussi que le responsable garantira que mon écrit ne soit pas jugé par les autres. Oui, ce n’est pas évident de passer à l’acte. Je peux bloquer parce que je crois n’avoir rien à écrire, rien de « fort ». Je peux m’arrêter bêtement sur des tournures de phrases pour « faire bien ». Je peux aussi me comparer à d’autres auteurs qui écrivent tellement mieux que moi. Des blocages et encore des blocages qu’il s’agit d’identifier, d’accepter, de surpasser ensemble pour aller de l’avant.

Pour moi, c’est d’abord ce milieu garanti par les responsables qui m’autorise à écrire avec mes particularités, mes imperfections, mes manquements… C’est ce milieu qui m’autorise rigoureusement à poser ces mots. Non pas un milieu qui assiste, mais un milieu qui, avec exigence, fait « attrape désirs » et me sécurise un tant soit peu à sauter dans l’inconnu. Il a été réfléchi par les responsables, évalué avec tous les participants en fin d’atelier et il sera amélioré pour l’année prochaine, avec toujours pour objectif : écrire pour le journal TRACeS. Un objectif en soi très exigeant avec ses critères de qualité, ses attentes.

Soigner le milieu

Ainsi, c’est par toutes ces petites institutions, ces tremplins, mais aussi ces vides, ces possibilités de détours et de retours mis en place par les responsables (parfois à leur insu) que je peux prendre une place dans l’écriture, que je peux apprendre à être moi-même rigoureux.

Dans mes pratiques quotidiennes, la rigueur se pose avec mon programme de géographie. J’ai toujours considéré chaque programme scolaire comme nécessaire dans l’enseignement, car il tente de créer du commun. C’est une référence, un guide. Non pas un carcan.

Et pourtant, je transgresse le programme parce qu’il est soumis à la réalité quotidienne. Est-ce un manque de rigueur ? Pour moi non, du moment que j’y reviens continuellement afin de mieux l’appliquer. Je dois prendre le temps de respecter le rythme des élèves, de prendre sérieusement certains manquements, de garantir un apprentissage commun et minimum en géographie. Et ce, pour tous.

Cela demande de la rigueur, des grands détours et des retours avec l’élève, des remédiations, la mise en place de petites institutions qui permettent aux élèves d’exprimer des demandes telles que le « ça va/ça va pas » en fin de chaque heure de cours, la clarification des objectifs à atteindre avec « une feuille de route » lisible…

Je dois apprendre à susciter le désir ou laisser la place à leur désir, mettre en place des méthodes porteuses tout en exigeant des savoirs et des compétences (et donc souvent me former). Tenir bon et laisser la place au sujet. Exiger et reconnaitre.

Je tente donc de soigner le milieu. Un milieu dont je tente de garantir la cohérence et qui est continuellement évalué avec l’élève non pas pour « faire la nique » au programme, mais plutôt pour mieux l’appliquer. Une rigueur en soi. C’est ma posture.