Les épreuves d’évaluation non certificatives mesurent l’évolution des apprentissages jusqu’à 15 ans. Décrétées en 2006 [1], elles visent trois objectifs :
permettre à chaque équipe pédagogique d’apprécier l’efficacité de son action en établissant l’état des acquis de ses élèves par rapport aux compétences attendues et en situant les résultats de ses élèves par rapport aux résultats globaux ;
collecter un ensemble de données statistiques permettant d’analyser l’évolution du système éducatif en termes de performance ;
procéder à l’analyse des résultats au sein de chaque équipe afin de pointer les difficultés des élèves et de mobiliser les équipes autour d’une remédiation.
Comment ces intentions légales sont-elles vécues sur le terrain ? En quoi aident-elles les élèves à surmonter leurs difficultés d’apprentissage ? L’examen de ces questions fait l’objet de ce texte, qui se concentre sur les trois séries d’épreuves non certificatives actuellement programmées [2] .
Vers une meilleure cohérence des pratiques ?
Les épreuves sont construites en référence aux socles de compétences par des équipes rassemblant des enseignants, des inspecteurs et des conseillers pédagogiques. Dans une intention de continuum, certains items concernant les mêmes concepts sont présents dans les trois épreuves à des niveaux croissants de complexité. L’approche en spirale induite dans le développement des compétences est ainsi illustrée.
Les items donnent le ton d’une certaine norme attendue à divers moments de la scolarité : en fin de 1re étape (à 8 ans), à mi-parcours de la 2e étape (à 10 ans), en fin de 3e étape (à 14 ans). Ils clarifient les savoirs et savoir-faire attendus à ces moments-là auprès d’enseignants qui connaissent parfois peu ou mal les programmes et autres prescrits légaux.
Les services d’inspection primaire et maternelle essayent autant que possible de traiter ces épreuves de manière cohérente. Ils les mentionnent dans les rapports d’établissement et s’appuient sur les résultats pour apprécier les pratiques observées. Jusqu’à l’année scolaire 2011-12, aux niveaux maternel et primaire, les journées de formation de l’inspection (journées MACRO) permettaient aux enseignants de participer conjointement aux corrections des épreuves. Régulièrement, les inspecteurs des classes maternelles mettaient à profit leur journée de formation pour analyser les items de 2e primaire et anticiper le chemin à parcourir pour atteindre progressivement les objectifs attendus à 8 ans. Ces démarches valorisaient les apprentissages de maternelle en les inscrivant dans une perspective à plus long terme.
Suite aux résultats, certaines équipes se mobilisent autour d’objectifs ciblés pendant deux ou trois ans. Des accompagnements répondant à des besoins particuliers des équipes peuvent être mis en place avec les conseillers pédagogiques des réseaux. Dans maints endroits, des formations sur des contenus disciplinaires sont organisées. Une volonté s’exprime de reconstruire des parcours plus cohérents de la 1re maternelle à la 6e primaire : partage de pratiques entre cycles, conception de « valises pédagogiques » ou de référentiels d’élèves sur la durée du cycle, voire davantage.
Vers moins d’inégalité et plus de soutien aux élèves en difficulté ?
En vue d’objectiver les difficultés des élèves et de fournir des outils susceptibles d’y remédier, des grilles sophistiquées permettent une lisibilité pointue des résultats des épreuves : par élève, par discipline, par compétence ciblée.
Dans le souci de ne pas stigmatiser des élèves ou groupes d’élèves — ce qui aurait pour effet de renforcer les inégalités scolaires —, le décret stipule [3] qu’il est interdit et légalement sanctionnable de publier les résultats de ces évaluations. Les seuls résultats rendus publics se basent sur un échantillon qui tient compte de l’hétérogénéité des classes. Une analyse est faite de l’incidence des facteurs socioéconomiques sur les résultats. Même si les épreuves permettent d’identifier des concentrations d’élèves faibles ou forts, les intervenants (enseignants, conseillers pédagogiques, inspecteurs) sont tenus à une totale discrétion à cet égard.
Dans les mois qui suivent les épreuves, l’analyse commentée des résultats est distribuée dans tous les établissements. Elle aide les enseignants à objectiver les résultats de leurs élèves en les comparant aux résultats globaux. Dans le suivi de ces analyses, des pistes didactiques très précises proposent des stratégies d’apprentissage et des dispositifs de remédiation.
Dans certains cas, les résultats obtenus et comparés à la moyenne provoquent des débats pédagogiques constructifs au sein des équipes, par exemple sur le choix des méthodes d’apprentissage de la lecture, la place de la verbalisation des démarches ou de la mémorisation, etc.
Notre première analyse s’avère plutôt optimiste : les épreuves externes non certificatives tendent à apporter peu à peu une illustration commune des prescrits légaux. Elles impulsent une vision plus cohérente des objectifs liés aux apprentissages dans trois domaines disciplinaires. Une meilleure visibilité des programmes et des niveaux attendus commence ainsi à se mettre en place. Cette cohérence accrue devrait profiter principalement aux élèves les plus vulnérables.
L’impact observé met en lumière la responsabilité importante qui incombe aux concepteurs de ces épreuves quand on sait la difficulté réelle à concevoir celles-ci dans une perspective de développement de compétences plutôt que de seule restitution de savoirs.
Des freins ?
Une analyse plus détaillée des diverses étapes nous amène à percevoir ce qui gêne le processus.
À l’issue de la première étape (2,5-8), soit en 2e primaire, les résultats reflètent de manière plutôt positive les acquis des élèves. Les enseignants estiment toutefois que les épreuves sont placées trop tôt dans l’année (novembre) en regard du degré de maitrise de la lecture : la manière dont les enseignants lisent les consignes aux élèves au moment de la passation des épreuves risque de biaiser les résultats.
Par ailleurs, le stress généré par une épreuve externe parfois ressentie comme une évaluation détournée des pratiques enseignantes tronque la finalité même de la démarche : plutôt que de l’appréhender dans une logique de diagnostic et d’évaluation formative au bénéfice des élèves, certains enseignants la vivent comme une obligation de résultat justifiant leurs pratiques pédagogiques. Enfin, si la mobilisation des titulaires de 1er et 2e primaires est forte, elle reste plus faible chez les enseignants du maternel qui ont du mal à inscrire les apprentissages de leurs élèves dans une perspective à si long terme.
Le risque existe toutefois qu’une pression à la réussite provoque ça et là des démarches de « primarisation » des maternelles en anticipant certains apprentissages formels ou en passant trop rapidement à l’abstraction.
De la première (2,5-8) à la deuxième étape (8-12), les résultats obtenus en 2e primaire permettraient d’établir un diagnostic non seulement de ce qui reste à travailler, mais aussi des fragilités auxquelles il faudra être attentif en 3e et 4e années.
Or, les titulaires du cycle 8-10 méconnaissent souvent le contenu des épreuves : entre le mois de novembre en 2e année et la rentrée de septembre en 3e, l’affaire est oubliée. De manière générale, sauf situations encore très exceptionnelles, les évaluations externes ne sont donc pas utilisées de manière significative par les enseignants pour prendre en compte les acquis et les difficultés des élèves. Il faut savoir que les livrets des épreuves ainsi que les pistes didactiques sont distribués presque exclusivement aux titulaires de deuxième. Même si ces documents sont téléchargeables sur le site enseignement.be, peu d’enseignants font la démarche de les consulter.
Par ailleurs, les résultats obtenus lors des évaluations externes en 2e année sont souvent noyés dans (ou peu mis en lien avec) les évaluations internes à l’établissement lui-même. En quoi ces évaluations successives sont-elles complémentaires ou dissonantes ? Comment affectent-elles les orientations de fin de cycle, et l’organisation des classes ?
À mi-parcours de la deuxième étape, en 5e primaire, les résultats des évaluations non certificatives sont souvent faibles, mauvais, voire très mauvais. Trois explications :
le contexte de passation des épreuves : en 2e année, le titulaire lit toutes les consignes aux élèves ;en 5e année, les élèves sont livrés à eux-mêmes et la maitrise de la lecture est loin d’être acquise par tous ;
le degré d’exigence : certains items sont d’un niveau de complexité semblable à celui du CEB. L’épreuve est rédigée à l’aune des socles de compétences qui ne définissent pas d’attendus à la fin de la 4e, mais seulement au terme des six années ;
l’inégale mise en pratique de l’approche par compétences dans les classes : lorsque l’enseignement est plus systématique, transmissif voire conditionnant, il prépare peu les élèves à gérer des situations plus problématiques. Des élèves qui auraient brillamment répondu à un item décontextualisé exigeant d’appliquer une formule pour calculer le volume d’un parallélépipède rectangle ne parviennent pas à estimer sans opération le nombre de boites nécessaires pour remplir une caisse de dimensions données.
Ces résultats ont un effet de douche froide. Nombreux sont les enseignants de 5e année qui se sentent responsables des résultats et démunis devant l’ampleur des difficultés pointées. Plus encore qu’en 2e année, il reste difficile de se persuader de la seule visée diagnostique des épreuves, difficile d’être serein même s’il reste un an et demi pour rencontrer les attendus des socles de compétences et préparer les élèves au CEB. Des dérives de bachotage s’installent pour répondre à l’angoisse de ne pouvoir boucler son programme.
Cette angoisse est entretenue par la fréquence soutenue des épreuves : trois disciplines sur trois ans, à raison d’une par an. Les résultats commentés et les pistes didactiques parviennent en avril-mai dans les écoles. Difficile à ce moment-là de s’en approprier les contenus, l’évaluation de l’année scolaire suivante étant déjà orientée vers une discipline différente.
Entre les deuxième (8-12) et troisième étapes (12-14), la mise en place d’un continuum effectif quant au suivi des élèves passant de l’école primaire à l’école secondaire s’avère bien périlleuse. Le secondaire méconnait les épreuves du primaire et réciproquement. La communication des difficultés diagnostiquées et travaillées en primaire vers le secondaire reste exceptionnelle. Une même méconnaissance des épreuves non certificatives existe bien souvent au secondaire au niveau des titulaires des disciplines non concernées.
Que faire ?
Difficulté de diagnostic, difficulté d’exploitation, récurrence des échecs : les conditions actuelles des épreuves externes non certificatives entretiennent chez les enseignants le malaise d’être eux-mêmes évalués tout en ayant le sentiment d’avoir peu de maitrise sur l’évolution de la situation.
Le pouvoir politique poursuit son questionnement afin d’améliorer le système, notamment en modifiant les moments de passation des épreuves [4]. Les intentions du législateur sont louables, mais agir sur les structures ne suffit pas. CGé propose trois actions qui visent à nourrir la culture d’évaluation en agissant simultanément sur les savoirs, les convictions et les comportements :
Clarifier les enjeux
L’enjeu principal est de renforcer la place incontournable réservée à l’évaluation formative au sein de tous les établissements. Pour cela, il s’agit :
d’éviter les dérives dans les modalités d’application des textes légaux (bachotage, comparaison des résultats…) ;
d’améliorer la communication des résultats par l’envoi des livrets et pistes didactiques à tous les enseignants des différents cycles et étapes, y compris ceux du secondaire ;
de renforcer l’accompagnement des enseignants dans l’interprétation des résultats et la capacité à mettre en œuvre une remédiation efficace.
Former au pilotage pédagogique des établissements
Le rôle des directions est crucial et questionne les missions qui leur sont attribuées. Exercer le pilotage pédagogique des établissements avec efficacité appelle un allègement sensible des tâches administratives et une formation solide permettant :
une analyse fine des résultats au cours d’un travail de concertation, en favorisant des rencontres entre les différents cycles ;
un accompagnement des équipes enseignantes dans une dynamique de résolution de problèmes et de mise en projet avec définitions d’objectifs prioritaires évaluables lors de l’épreuve externe suivante ;
la relecture critique des pratiques d’évaluation sommative au sein de sa propre école : fréquence, items, niveau d’exigence, précision accrue des commentaires dans les bulletins, organisation spécifique des années complémentaires.
Réorganiser les épreuves.
Espacer les épreuves dans le temps, en tout cas pour l’école primaire. Les placer en fin d’étape ou de cycle afin que la lecture des résultats puisse avoir un impact immédiat sur l’accompagnement des élèves dès la rentrée de septembre, à savoir au début de l’étape suivante.
En conclusion
Les épreuves externes non certificatives impulsent davantage de cohérence à l’enseignement au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles. En corrigeant le caractère arbitraire des évaluations internes à chaque établissement, elles peuvent participer à une réduction des inégalités scolaires. Mais la structure seule ne peut suffire. Les évaluations externes mettent en lumière la réelle complexité de l’accompagnement des élèves en difficulté. Cette complexité doit être soutenue à la fois par le pilotage pédagogique et par l’apport de la formation initiale et continue.
[1] Décret du 2 juin 2006 relatif à l’évaluation externe
des acquis des élèves de l’enseignement
obligatoire et au certificat d’études de base au
terme de l’enseignement primaire. Art.6-1°, Art.6-
3°et 4°, Art.17-1°.
[2] Au mois de novembre de chaque année, pour
les classes de 2e et 5e primaires et de 2e secondaire
comwmune, alternativement pour les disciplines
de mathématiques, français et éveil.
[3] Art.7 du décret du 2 juin 2006.
[4] Fin juin 2012, un flash gouvernemental repris
dans la presse annonçait que l’épreuve non certificative
en 2e primaire serait déplacée au mois
d’octobre de la 3e primaire et que celle de 2e commune
serait organisée à la fin de la 4e secondaire.
Dès 2013, le CE1D à 14 ans sera rendu obligatoire
pour tous les établissements. Dans un même
temps, l’épreuve certificative à 12 ans (CEB) est
mise en question tout en étant pour l’instant
maintenue.