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Un jour, j’ai demandé aux élèves ce qu’ils savaient de leurs grands-parents. S’ils étaient allés à l’école, par exemple ? Je me suis rendu compte qu’ils ne savaient pas grand-chose les concernant, à part qu’ils étaient vieux. Une occasion de faire des sciences humaines avec eux, de chercher ensemble.

Qu’avions-nous envie d’apprendre sur nos ainés et de quelle manière pouvions-nous nous organiser pour chercher des réponses ? Nous avons retenu l’idée d’un questionnaire avec lequel les élèves pourraient retourner chez eux et prendre le temps de discuter avec mamy ou papy ou les deux.
Pour l’élaborer, chacun a pu dire ce qu’il avait envie de savoir, et ce qui les intéressait surtout, tournait autour du comment c’était avant qu’eux ne soient là et si leurs grands-parents avaient été enfants. Ça partait dans tous les sens, des baskets qui clignotent aux jeux, en passant par le matériel scolaire. Je notais toutes les questions des élèves, parce qu’à priori aucune n’est à éliminer. La liste était longue, on a décidé de classer par thèmes, et de garder une formulation quand plusieurs questions interrogeaient la même chose. Ils voulaient savoir des choses en lien avec ce qu’eux connaissent : l’âge où ils ont commencé à aller à l’école, comment ils y allaient, ce qu’ils apprenaient à l’école maternelle, ce qu’ils mangeaient à la collation, ce qu’ils utilisaient comme matériel en classe, les jeux de la cour, les punitions… Pour développer le langage, les élèves ont appris à formuler une question de différentes manières.

De chez mamy au coin salon

J’ai apporté des documents (photographies) sur l’école d’autrefois, on les a analysés, et la question de la mixité est arrivée. Les filles et les garçons n’ont pas toujours partagé les mêmes classes ni les mêmes écoles.
Comme les enfants ne sont pas encore lecteurs, j’ai tapé le questionnaire tel que nous l’avions rédigé ensemble. J’y ai joint une lettre expliquant le projet et demandant aux ainés de prendre le temps de discuter de leur histoire avec leurs petits-enfants. J’ai laissé plus d’un mois, ce qui m’importait, c’est qu’ils aient du temps pour prendre ce temps. Ils ont tous répondu. Quand un élève revenait avec son enquête et qu’il désirait partager une réponse, par exemple, que sa mamy avait reçu des coups de latte sur les doigts, on prenait du temps pour en parler immédiatement.
Une fois tous les questionnaires rentrés, j’ai noté les réponses de tous les enfants sous chaque question, ça prenait beaucoup de l’espace d’affichage de la classe. Je leur ai donc demandé comment faire pour se souvenir de toutes ces informations qu’ils avaient récoltées, et l’idée du livre s’est imposée. Même s’ils ne sont pas encore lecteurs, les traces sont importantes pour se souvenir, c’est une des fonctions de l’écriture. Une manière en maternelle de nourrir leur désir d’apprendre à lire. Il restait à l’illustrer pour que les élèves puissent s’appuyer sur les images pour se rappeler de la question.
Ensuite, j’ai proposé de réaliser un comparatif entre nos habitudes actuelles et celles d’autrefois afin de marquer la notion de progrès, d’évolution. J’en ai profité pour collecter les connecteurs de temps : autrefois, il y a longtemps, avant... Je ne leur dis pas, on va faire de la conjugaison, observer ce qui change dans la terminaison et pour le sens quand on parle au présent et au passé, mais on travaille à l’oral, on prépare les apprentissages plus structurés qu’ils feront en primaire.
Plusieurs grands-parents avaient noté sur le questionnaire qu’ils étaient partants pour venir témoigner en classe ou pour prêter des objets, une fois de plus, nous devions nous organiser.
Nous nous sommes penchés sur la situation de communication qui nous occupait : est-ce qu’on s’adresse aux ainés comme aux copains ? Le vouvoiement n’est pas spontané pour les plus jeunes. J’ai insisté sur la façon de parler : pas trop vite, assez fort. Je profite du projet pour travailler des apprentissages, principalement en français, profitant de situations vraies qui donnent du sens et de la motivation pour réfléchir sur la langue.
Chaque élève de troisième était responsable de deux questions. Nous avons travaillé la mémorisation, en nous appuyant sur les images. Quand tous les élèves étaient prêts, nous avons fixé une date et prévu un gouter.
La rencontre s’est très bien passée. Un grand-père avait amené le jeu des osselets, on a fait le lien avec les gogos. On s’est rendu compte que si les jeux actuels étaient plus attractifs, certains jeux ont traversé le temps. Après la rencontre, nous avons rassemblé les panneaux questions-réponses qui prenaient tout notre espace d’affichage en un livre documentaire que nous allions laisser dans la bibliothèque de la classe.

Des objets qui racontent l’Histoire

D’autres documents sont arrivés par la suite, chaque fois l’occasion de se replonger dans le projet. J’ai remarqué que les enfants sortaient souvent notre livre de la bibliothèque et qu’ils interagissaient avec lui.
À refaire, ce serait intéressant de contacter les arrières-grands-parents, leur école étant encore plus éloignée de l’école d’aujourd’hui. Il y en a un qui nous a fait parvenir son cartable et son tablier, et avoir des objets en main, c’est encore autre chose que des photographies. Le tablier était taché d’encre, pourquoi ? On s’est intéressé aux outils d’écriture. Dans la classe, il y avait un âtre, chaque élève venait avec une buche. On a pu se rendre compte du confort des écoles aujourd’hui.
Après avoir vécu le projet, j’ai travaillé avec les élèves sur la ligne du temps. Ils ont apporté des photos d’eux, de leurs parents et de leurs grands-parents. Ils les ont placées sur trois lignes différentes pour montrer la situation actuelle de chaque génération. Ils ont pris conscience de la chronologie et du fait qu’on avance tous en âge en même temps. Ils avaient bien acquis que leurs parents avaient aussi été enfants, pareils avec leurs grands-parents.
On a aussi travaillé avec des images qui représentaient un bébé, un enfant, un adolescent, un adulte et une personne âgée qu’ils ont pu manipuler. L’occasion d’apprendre des catégories et du vocabulaire, là pour nous aider à penser le monde qui nous entoure et à nous situer dans ces différentes étapes de la vie.

Et des concepts

Après ils entouraient leur image actuelle, celle de l’enfant, et comme ils avaient bien compris qu’ils ne seraient plus jamais des bébés, ils barraient celles où ils étaient bébés. Ils ont compris que le temps était irréversible. Pour eux, pour leurs parents, pour leurs grands-parents. Sans ce travail au fil des mois, cela aurait certainement pris encore plusieurs années....
Est arrivée la grosse question de la mort, comme prochaine étape dans la vie de leurs grands-parents. Même si on ne sait pas quand, on sait que tout le monde mourra… On ne s’est pas étalé sur le sujet, mais on en a parlé. Certains enfants avaient déjà perdu un des grands-parents. Le sujet du projet, après avoir traité celui des émotions avec les élèves, a fait que beaucoup se sont « livrés », ont raconté un peu de leur chez eux et d’eux.
On a également fait un arbre généalogique, dans la foulée. Il y a forcément des familles où ça coince au niveau des branches prévues dans l’arbre. « Ma mamy mon papy, ils ne sont plus ensemble. Mais papy a une nouvelle femme. » On réfléchissait à comment adapter l’arbre à la situation familiale. Visuellement, on observe que la famille traditionnelle n’est plus majoritaire. Un enfant n’avait plus de contact avec son papa, il n’avait pas de photo de lui à apporter. Je lui ai laissé le choix de raconter pourquoi il n’avait pas de photo ou de coller une image d’un papa à la place. Il a décidé d’en parler et s’est vu rassuré par la similitude d’autres histoires.
Au départ, je ne savais pas où j’allais, mais en fonction de ce qui se passait avec les enfants, au fil des mois, j’orientais le travail. L’intergénérationnel avait déjà sa place dans l’école, mais avec ce projet, les apprentissages ont été plus nombreux et avaient du sens. Les deuxièmes avaient moins de responsabilité et de tâches liées à ce projet, mais leurs oreilles n’étaient pas en reste.