Et si au lieu d’emmerder tout le monde pour favoriser une mixité sociale inaccessible, on favorisait un bon petit ghetto bien volontaire pour faire réussir les pauvres ?!
Pour les enfants de Barbiana, l’école, c’est « comme un hôpital qui soignerait les gens en bonne santé et renverrait les malades chez eux [1]. » C’était en 1967, au nord de Florence. Et aujourd’hui, cela reste vrai chez nous aussi. Pourtant on a les décrets Missions, École de la réussite, Inscriptions, Inspection… On a même les UAA, tout frais. La majorité de ces trucs ont pour principal effet d’emmerder tout le monde et de ne rien changer à l’exclusion sociale et scolaire. Tant que l’École restera un marché où l’offre et la demande sont libres, la ségrégation se maintiendra aussi avec les mêmes effets.
« Ouvrir le couteau »
« Tant que c’est vous les enseignants qui tiendrez le couteau par le manche, les parents ne l’ouvriront pas. Alors de deux choses l’une, ou bien il ne faut pas vous laisser le couteau entre les mains (notes, bulletins, examens), ou alors il faut organiser les parents. » Organiser les parents et/ou s’organiser entre enseignants progressistes pour ouvrir à Bruxelles et ailleurs de nouvelles écoles de Barbiana.
Plutôt que de tenter de lutter contre la ségrégation sans y arriver, on peut ouvrir des écoles d’excellence populaire, certifiées telles, des écoles qui auraient beaucoup plus d’autonomie et beaucoup moins de liberté. Plus d’autonomie pour trouver les moyens et avoir le droit de donner la priorité aux enfants de milieux populaires, pour engager des enseignants volontaires sur base d’un projet pédagogique émancipateur, pour organiser les activités pédagogiques en faveur des apprentissages, pour échapper aux programmes, aux conseillers pédagogiques et aux inspecteurs. Plus d’autonomie pour établir des partenariats favorables au travail (recherches pédagogiques, entreprises, associations...) Plus d’autonomie grâce à des moyens et à un encadrement supplémentaires significatifs ne dépendant pas directement de la population [2] (plan quinquennal par exemple).
Moins de liberté parce que son existence et son statut privilégié (autonomie et moyens) seraient conditionnés à des contrôles sévères en termes de résultats (sur le moyen terme et en tenant compte du type de population), parce que l’école devrait rester à un indice socioéconomique inférieur à 5, serait soumise à des maximas sévères d’exclusions et d’échecs (évaluation externe). Moins de liberté parce qu’enseignants et élèves auraient un horaire obligatoire de 38H/semaine à l’école. Moins de liberté parce que chacun serait tenu par un engagement exigeant.
« S’en sortir tous ensemble »
Moins de libertés, et plus d’autonomie, dans la classe aussi. Pas de pédagogie bobactive des « nouvelles écoles » pour l’épanouissement des petits chéris. « Le gosse qui se permet d’avoir des opinions personnelles qui sont au-dessus de lui est un petit imbécile... Si on va à l’école, c’est pour écouter le maitre. » Au contraire, une pédagogie collective exigeante. « J’ai appris que le problème des autres est pareil au mien. S’en sortir tous ensemble, c’est la politique. S’en sortir tout seul, c’est l’avarice. » Et une pédagogie pour tous et surtout pour les plus faibles. « Ceux qui ne possédaient pas de bases, qui mettaient plus longtemps que les autres à comprendre ou qui étaient distraits, se sentaient les préférés. On les traitait comme vous traitez le premier de la classe. On aurait dit que l’école était rien que pour eux. Tant qu’ils n’avaient pas compris, les autres n’avançaient pas. »
Une école pour apprendre et accéder à la culture émancipatrice. « La vraie culture, c’est se connaitre les uns les autres... C’est appartenir à la masse et posséder la parole. » Une école où on travaille. « Là-haut aussi la vie était dure. Une discipline et des engueulades à vous faire perdre l’envie de revenir. (…) II n’y avait pas de récréation, il n’y avait pas de congé, même le dimanche. Ça ne nous tracassait guère ni les uns ni les autres, car le travail, c’est bien plus dur. Mais de tous les bourgeois qui débarquaient histoire de nous rendre visite, il n’y en avait pas un qui pouvait avaler ça. »
« Mieux que la merde »
À un pédagogue qui trouvait l’horaire trop chargé, « Lucio qui avait seize vaches à l’étable dit : “L’école, ça vaudra toujours mieux que la merde”.
Mieux que la zone, la glande, la débrouille, le centre commercial, les boites ou la mosquée, il faudra y faire croire, aussi bien aux parents qu’aux enfants et aux jeunes. Il faudra donner confiance et attirer et faire travailler un public populaire en lui témoignant à la fois beaucoup plus de véritable reconnaissance et à la fois beaucoup plus de véritable exigence. C’est possible.
Mieux que des efforts aussi désespérés qu’inutiles pour favoriser la mixité, mieux que toutes les injonctions et prescriptions décrétales, mieux que la pédocratie toujours triomphante, il faudra y faire croire aussi, à la Ministre et au comité de pilotage. C’est possible.
Que les mouvements pédagogiques, les syndicats et associations progressistes s’unissent pour revendiquer l’ouverture d’« écoles d’excellence populaire », pour exiger des écoles très autonomes donnant la priorité à la réussite des enfants et des jeunes de milieux populaires.