Apprendre ce qu’est l’angle droit, en troisième primaire, ça ne peut être que le début ! Un début où les enfants seront déjà capables de mettre des mots sur l’unicité de l’angle droit, sur l’ouverture d’un angle et la comparaison de cette ouverture avec celle de l’angle droit. Mais ces mots seront ceux de la classe pour quelque temps encore.
J’affiche un rectangle au tableau. La feuille A3 sur laquelle est dessiné ce rectangle est découpée pour que ses angles droits n’apparaissent plus et je la place de telle manière que les côtés du rectangle ne soient ni parallèles ni perpendiculaires au sol.
Je fais identifier rapidement quelques rectangles dans la classe, pour solliciter les images mentales correspondant à cette forme. Les enfants, grâce à différents vécus dans la famille et/ou à l’école ont tous des connaissances sur le rectangle. Ce qu’ils me montrent sont bien des rectangles, souvent, voire toujours, placés avec les côtés perpendiculaires et parallèles au sol. Ils ont tous aussi des connaissances sur l’angle droit et la perpendicularité parce que notre monde est ainsi construit. Plongés dans la situation des rectangles à terminer, avec ces connaissances antérieures, ils vont se construire de nouvelles connaissances sur ce même savoir.
Faire
J’explique ensuite que le rectangle a été reproduit et qu’il n’est pas terminé. Il reste une partie d’un côté à dessiner. Devant les élèves, je découpe le rectangle et je distribue à chaque élève la partie A. Je garde la partie B et leur demande de terminer le dessin du dernier côté.
Les enfants travaillent seuls. J’espère qu’ils cherchent la bonne orientation du morceau du côté qui manque. Tous les enfants de cet âge ont une connaissance implicite des relations existant entre les côtés d’un rectangle, connaissance qu’ils peuvent déjà utiliser à ce moment de la démarche. La majorité des enfants tracent très rapidement le morceau du côté et attendent avec impatience de pouvoir venir vérifier si leur tracé est correct.
Parler pour penser
Ils devront attendre un peu ! Je les regroupe par quatre et leur demande de repérer les productions qui conviennent et celles qui ne conviennent pas, toujours sans pouvoir les placer à côté de l’autre morceau du rectangle. Tous sont ainsi contraints à interroger ce qu’ils ont fait, en comparant leur travail avec celui des autres enfants.
C’est un moment crucial pour moi. Je me fais discrète, mais je suis très à l’écoute de tout ce qui se dit. C’est à ce moment que les enfants mettent des mots sur ce qu’ils viennent de faire. « T’as trop penché », « C’est pas droit », « C’est trop fermé », « Ça devrait être comme ça, » sont les premières expressions que les enfants utilisent pour parler de ce qu’ils viennent de faire, pour commencer à penser.
Les auteurs des productions qui ont été choisies parce qu’elles conviendraient viennent ensuite le vérifier au tableau en assemblant les deux morceaux du rectangle. Si la production ne convient pas, l’auteur repart à sa place, mais je le rassure : on va réessayer ! Je l’incite à ne pas effacer ce qu’il vient de faire, mais au contraire, à l’observer attentivement pour essayer de comprendre pourquoi son tracé ne convient pas.
Si la production convient, je demande à son auteur d’expliquer à la classe comment il a fait. Interroger les réussites plutôt que les échecs fait parfois plus avancer la réflexion intellectuelle : tous les enfants dont les productions convenaient ont dit avoir réussi… par hasard ! Même si des mots ont commencé à être posés sur le faire, aucune nouvelle connaissance n’a encore été construite !
Expliquer le comment
Le même rectangle est à nouveau utilisé, mais un autre morceau a été découpé et le côté fourni aux élèves est plus court, de façon à perturber les procédures au jugé qui ont besoin d’un support visuel plus important.
Les mêmes étapes sont reprises (travail individuel, suivi d’un travail par groupe de quatre pour sélectionner les productions qui conviennent), mais j’insiste cette fois sur l’explication à donner : il faut savoir expliquer comment on a fait !
Et là, ils cherchent tous ! Certains ont une bonne intuition et cherchent à employer des objets rectangulaires pour tracer le morceau du côté, d’autres se fourvoient et cherchent des indices dans le contour du morceau découpé. Pendant le travail de groupe, ils mettent d’autres mots, non plus sur leur production, mais sur la procédure qu’ils ont utilisée. À nouveau les auteurs des productions qui ont été choisies viennent vérifier l’orientation de leur tracé au tableau. J’organise alors un court débat autour de la procédure utilisée.
Quand Mounia vient au tableau et explique ce qu’elle a fait en disant « Faut que ce soit droit, j’ai essayé que ce soit droit ! » et qu’elle ne peut expliquer ce que veut dire pour elle le mot droit, je renvoie la question au grand groupe : « Qui peut essayer d’expliquer ce que veut dire Mounia quand elle dit que ça doit être droit ? »
Beaucoup d’enfants font le même geste avec l’avant-bras : ils le placent devant eux, verticalement, les doigts bien tendus vers le haut. Je reprends alors le morceau découpé, le place sur le tableau en veillant à ce que le côté tracé ne soit pas horizontal et place mon avant-bras comme le montrent les enfants (ce qui forme un angle aigu ou obtus, mais certainement pas un angle droit…). Les enfants modifient alors la position de leur avant-bras pour le placer perpendiculairement au côté tracé et précisent un peu le mot droit : « Ah non ! Pas droit ainsi, droit comme ça ! » Il y aurait donc plusieurs droit…
D’autres enfants énoncent d’autres procédures. Nicolas s’est rendu compte que le problème consistait à trouver une orientation particulière et l’exprime ainsi : « C’est pas toutes les places du côté qui marchent. Je pense qu’il n’y en a qu’une ! C’est celle-là qu’il faut trouver ! »
Imane s’est aperçue que des objets sur son banc pouvaient être utilisés : « Sur le cahier, il y a des coins comme ceux qu’on doit faire ! »
La situation de départ avait mis la plupart des enfants dans une situation d’impasse : ça ne convient pas ! Cependant, après la vérification au tableau, tous les élèves étaient persuadés qu’il était possible de réussir, d’atteindre l’objectif. Reprendre le travail sur un deuxième rectangle et prolonger ce travail par un débat a permis aux enfants de passer de l’action réussie ou pas à la compréhension de cette réussite ou de cet échec.
Des nouvelles connaissances
Je reviendrai sur l’angle droit, dès la semaine suivante, avec une autre activité. Mais quelles sont les connaissances construites par les enfants ? Je ne peux être certaine des nouvelles connaissances que chaque enfant a construites pendant cette activité, mais je ferai construire par les enfants une synthèse temporaire, début d’une construction de ce que sont l’angle droit et la perpendicularité.
Je demanderai aux élèves de vérifier si leurs deux tracés conviennent ou pas. Nous ferons un tri au tableau. Parmi ceux qui ne conviennent pas, je demanderai aux enfants de les séparer en deux tas, ce qu’ils feront facilement (les aigus et les obtus). Ils constateront aussi que tous les tracés qui conviennent sont identiques. Nous le vérifierons par superposition et nous ne garderons qu’une seule production. Nous nous mettrons enfin d’accord sur un nom à donner à chaque classe : les trop fermés (les angles aigus), les trop ouverts (les angles obtus) et le coin de rectangle (l’angle droit).
Des trucs pour faire apprendre
À plusieurs reprises, avec des groupes d’enfants différents, j’ai repris cette démarche. À chaque fois, les enfants en reparlaient pendant la récréation et cherchaient spontanément à repérer des angles droits tout autour d’eux. Quels pourraient être les ingrédients de ce résultat ?
Il s’agit dans un premier temps d’exiger de chaque enfant une double implication personnelle. Il lui est d’abord demandé de faire quelque chose, de s’engager dans du concret, d’être actif, avec un but de savoir.
Ensuite, j’exige de lui qu’il s’implique personnellement en mettant des mots sur ce qu’il a fait.
Dans un second temps, j’essaie d’amener chaque enfant à prendre du recul sur ce qu’il vient de faire, à comprendre pourquoi il a réussi (ou pourquoi on a raté). Je lui demande donc à la fois de faire et de se regarder faire.
Pour arriver à cet objectif ambitieux, le travail individuel, le travail en petit groupe et le débat en grand groupe sont de précieux outils. Le travail individuel permet de produire une trace de ce qu’on vient de faire et de devenir un peu plus conscient de ce qu’on connait déjà. Le travail en petit groupe permet de confronter sa production à celle des autres, de mettre des mots sur ce qu’on a fait et de commencer à penser. Le débat enfin, permet à la fois d’argumenter et d’expliciter les procédures de réussite et d’échec.
Cette démarche est extraite du livre de l’équipe ERMEL, Apprentissages géométriques et résolution de problèmes, Hathier, 2006.