Où en sommes-nous ?
Une majorité d’acteurs de l’Ecole s’entend aujourd’hui pour affirmer que la formation initiale des enseignants mérite d’être revisitée. Cette formation est le lieu où se construit l’enseignement de demain et elle est également considérée comme un des endroits où concrétiser les réformes du système éducatif. A l’heure où la ministre de l’enseignement obligatoire déploie un vaste chantier repris sous le vocable « Pacte pour un enseignement d’excellence », en d’autres lieux mais en écho, la réflexion qui doit mener à modifier la formation initiale des enseignants (FIE) se prolonge.
Il s’agit d’un vaste projet qui a démarré il y a quelques années. En 2009 déjà, le Conseil de l’Education et de la Formation [1] relève un certain nombre de difficultés et de manquements dans la formation proposée. Plus tard, une évaluation participative, qualitative et prospective [2] est conduite en 2011-2012 à la demande du ministre de l’enseignement supérieur, Mr Marcourt. Les cinq chantiers prioritaires dégagés par les chercheurs de l’ensemble des analyses des acteurs qui ont participé à l’évaluation et des perspectives qu’ils ont formulées rejoignaient les constats établis par le CEF. Il en va de même pour les principales propositions émises par le comité de gestion de l’AEQES [3].
Aujourd’hui, on peut avancer qu’il existe un large consensus quant à la nécessité de revoir la formation initiale des enseignants ainsi que la formation continuée, cette dernière devant s’inscrire dans des projets personnels et collectifs d’établissement [4].
A ce stade-ci, une note importante datant de la précédente législature est sur la table [5]. Elle contient des propositions émanant du groupe dit des quatre opérateurs de la formation initiale (universités, hautes écoles, promotion sociale et les écoles supérieures des arts). Il semble y avoir un consensus sur le souhaité : une mastérisation de la FIE dotée d’un référentiel de compétences, six axes de formation communs avec comme noyau dur la formation à la pratique et par la pratique et quatre filières de formation avec des périodes de ‘chevauchement’.
Le groupe de travail a été remis sur les rails depuis le début de cette année académique afin d’opérationnaliser ce consensus ; différentes balises sont posées : 60 % à 70% de la formation serait commune à tous les enseignants au sein d’un master en enseignement de 300 crédits, une obligation de cô-diplomation comprenant deux opérateurs, … Un rapport plus complet est prévu pour fin 2015 (à suivre donc).
Ce que CGé soutient
Même si les contours des projets qui circulent sont encore assez flous, l’orientation de proposer un « vrai » master (niveau 7 du Cadre européen de certification) nous agrée globalement. La proposition actuelle issue des 4 opérateurs (GT4O) d’avoir une formation commune qui s’adresse à tous les étudiants qui se destinent à l’enseignement en parallèle avec une formation plus spécifique à la discipline choisie nous parait à première vue une avancée positive. Nous ne pouvons que souscrire aux principes généraux qui guident la réflexion de ce groupe [6] et la possibilité de recevoir une formation qui permet des recouvrements au niveau des publics d’apprenants est aussi une piste intéressante. Cela devrait permettre des décloisonnements et favoriser le passage délicat entre les différents niveaux d’enseignement. Il s’agit là aussi d’une première avancée dans la mise en place d’un tronc commun annoncé par ailleurs dans le Pacte d’excellence et largement promu par CGé.
Mais cela soulève bon nombre de questions …
Néanmoins il s’agit d’être vigilant : nous nous questionnerons dès lors dans un premier temps sur différents aspects liés aux éléments de contexte et au processus en cours avant, dans un deuxième temps, d’aborder le fond en livrant notre point de vue.
Il semble qu’en coulisses les choses se soient accélérées et notre première crainte est que le politique s’emballe, aille très vite, voire trop vite, dans une course effrénée et concurrentielle entre Joëlle Milquet (CdH) et Jean-Claude Marcourt (PS) pour nous proposer un décret bâclé, à mettre en œuvre de manière précipitée dans les institutions concernées. La déclaration de politique communautaire (juin 2014) nous avait annoncé une prolongation constituée d’une 4è année faite principalement de stages à laquelle nous ne souscrivions pas. Non pas que plus de pratiques dans un contexte authentique d’une école ne soit pas nécessaire mais nous craignions avant tout une sorte de « stage entrée dans le métier » sans avoir réellement des tuteurs/maîtres de stage suffisamment formés pour un tel accompagnement et sans garantie qu’il y ait des « aller-retours » avec l’Institut de formation en vue de mener avec les étudiants une utile analyse réflexive.
Quid de la concurrence entre ces différents opérateurs qui cache habituellement son nom ? Ces opérateurs ont des points de vue et des logiques d’action différentes. Certains pèsent plus lourd que d’autres. Nous en voulons pour preuve les récentes tensions (et certainement encore à venir) entre universités et hautes écoles concernant le refinancement de l’enseignement supérieur. Le jeu de ‘tuyauterie’ structurelle entre les Hautes écoles et les universités doit être défini à l’avance. Sinon, le risque est grand d’assister à une foire d’empoigne et de passer à côté de l’essentiel, à savoir proposer une formation pour des enseignants en devenir qui réponde aux défis de l’Ecole de demain. Une fois encore, il importe de définir préalablement ce que la Société attend de cette Ecole en FWB. Le Pacte d’excellence pourrait être une réponse mais, comme nous l’avons déjà dénoncé, cela risque bien d’être avant tout un large compromis qui conviendra à tout le monde mais ne satisfera personne.
La composition du groupe de travail nous préoccupe également, on fait de l’entre-soi comme souvent quand il s’agit de ‘réformer’ l’école. Où est la place laissée à la société civile, à ceux qui font les frais d’une école excluante ? Qui parlera au nom de tous ceux que notre système scolaire broie dans ce groupe fermé d’opérateurs de la FIE ? Une réforme de la FIE ne peut que s’inscrire dans une perspective de lutte contre les inégalités sociales et scolaires. De plus, qu’en est-il du financement d’une telle réforme alors que l’enseignement supérieur est exsangue depuis plusieurs années ?
Enfin il y a le contexte plus large de l’enseignement supérieur et de la mise en œuvre du décret dit ‘paysage’. Ce dernier est loin d’avoir trouvé sa vitesse de croisière et il est à craindre que l’enchaînement d’une nouvelle réforme de cette ampleur soit inefficace. Le cursus en trois ans exige aujourd’hui un rythme soutenu pour les étudiants tant les activités à mener sont denses et nombreuses. Entre les cours à suivre, les travaux à réaliser, les stages à préparer et à vivre dans les écoles, il leur reste peu de temps pour s’approprier réellement les acquis et avoir une réflexivité qui doit leur permettre de construire les liens entre les éléments appris et la réalité du terrain. La mise en œuvre du nouveau décret n’a pas abrogé pour les catégories pédagogiques le décret de 2002 appelé décret Dupuis [7]. Ce dernier, bien qu’intéressant, souffre d’un morcèlement de petites activités d’apprentissages qui entrainent parfois des redondances et qui permettent peu aux étudiants de construire les liens. On pouvait espérer que le décret paysage par son architecture en unités d’enseignement amènerait des regroupements cohérents et intégratifs. Il est trop tôt pour le dire mais il semble que cela soit rarement le cas.
Le fond de la question à savoir les chantiers qui préoccupent CGé.
Aujourd’hui, le métier d’enseignant est complexe, multi compétences et pluri disciplinaires. Une première urgence dont nous percevons que plusieurs acteurs ont progressivement pris conscience : redéfinir le métier d’enseignant, l’enjeu étant ici de faire acquérir une culture commune à tous les enseignants.
Un des aspects fondamentaux souvent occulté est la formation des formateurs de la FIE. Nous posons l’hypothèse qu’une transformation profonde du métier d’enseignant passe avant tout par une réflexion en profondeur sur la formation des formateurs. Cela fait maintenant plusieurs années que sont annoncés des dispositifs de formations continuées pour les enseignants des HE pédagogiques mais on ne voit rien se concrétiser. Il y a avant tout en FWB un important déficit de ‘spécialistes’ reconnus à même de proposer une formation à la hauteur des ambitions de la réforme. De notre point de vue CGé, plusieurs principes fondamentaux devraient régir la formation des enseignants, une grande partie d’entre eux ayant déjà été mis en avant par l’enquête évaluative de 2011-12.
Il ne suffit pas de tenir un discours ‘sur’, sur ce que les futurs enseignants devraient faire dans telle ou telle situation, il faut pouvoir faire avec les futurs enseignants ce qu’on préconise qu’ils devraient faire avec leurs élèves , en s’adaptant bien entendu à un public de jeunes adultes et ce principalement en termes de méthodes. En tant que formateur, il s’agit ici de travailler les occasions de se retrouver soi-même apprenant, l’occasion de (re)découvrir que les obstacles cognitifs n’apparaissent pas pour tous au même moment, que les ressources ne sont pas automatiquement transférables, … . Il apparait comme évident dans la littérature pédagogique que l’enseignant doit s’appuyer sur le groupe-classe comme ressource aux apprentissages, cela pose question si un institut de formation ne met pas en œuvre ce principe. Pourquoi dès lors ne pas promouvoir la mobilité des formateurs de la FIE et leur permettre de faire des aller-retours sur le terrain (certains ne l’ayant jamais côtoyé) ? Il est vain de promouvoir la dimension évolutive du métier d’enseignant si leurs formateurs n’adoptent pas eux-mêmes cette posture.
Il ne suffit pas de proclamer la dynamique collective du métier d’enseignant si cette dimension n’est pas elle-même travaillée au sein de la formation des étudiants, non pas pour répondre à un prescrit mais pour expérimenter que l’on apprend avec, pour, contre les autres.
Il ne suffit pas de promouvoir l’enseignant réflexif en adossant simplement la pratique à la théorie. L’accompagnement de stagiaires se trouve au cœur du dispositif de la formation. Il constitue souvent une nouvelle facette qui requiert une réelle formation – absente aujourd’hui – en termes de posture, de gestes professionnels, de tensions inhérentes à cet accompagnement. Il y a beaucoup trop d’amateurisme dans l’accompagnement des stages qui n’articule pas suffisamment théorie et pratique, pratique et théorie.
Il ne suffit pas de professionnaliser les enseignants, encore faut-il savoir ce que l’on met derrière cette professionnalisation. Il ne s’agit pas de réduire l’enseignement à des gestes ‘techniques’. Est professionnel dans la classe celui qui sait mettre en place les routines nécessaires, procéder à des régulations en situation de travail et expliciter les raisons de ses choix. Cela vaut évidemment pour les formateurs aussi.
Il ne suffit pas de décréter que l’enseignant devienne un acteur social, encore faut-il qu’il ait eu dans sa formation la possibilité de sortir de la classe, d’observer comment une école fonctionne, comment elle contribue ou pas à faire réussir tous les élèves, comment la concurrence entre établissement scolaires reste un frein à l’émancipation de tous. Et surtout que les étudiants aient la possibilité de développer au sein de leur formation des projets à mener collectivement. Cela fait maintenant des années que nous plaidons pour former des enseignants non seulement sensibilisés aux problématiques d’inégalités scolaires avec une appréhension du contexte qui conduit à ces inégalités mais aussi former pour apporter des réponses pédagogiques à cette réalité (apprendre que les codes des uns et des autres ne sont pas identiques, comprendre que les rapports aux savoirs à l’écrit, à la langue, à l’autorité sont différents, comprendre que les modèles familiaux et culturels sont variés, …) . Bien peu de formateurs de la FIE sont eux-mêmes des acteurs sociaux …
En conclusion, nous osons croire que des projets de qualité sont sur la table, que l’orientation à prendre vers une définition commune du métier, vers des axes de formation clairement identifiés, … va dans le bon sens. En même temps, nous percevons un réel danger dans le contexte actuel de passer à côté d’une réforme majeure pour les raisons invoquées. Comme souvent en FWB, l’enfer est pavé de bonnes intentions qui se déclinent de différentes manières : timing politique incompatible avec le timing pédagogique, manque de moyens, intérêts partisans prenant le pas sur le bien commun, absence de légitimité des réformes auprès des acteurs concernés, …
Rudy Wattiez et Pierre Smets, membres de l’équipe politique de CGé
[1] Avis 105 du CEF adopté le 26 juin 2009
[2] V.Degraef et al., Evaluation qualitative, participative et prospective de la formation initiale des enseignants en Fédération Wallonie-Bruxelles, Bruxelles, février 2012.
[3] Agence pour la qualité de l’enseignement supérieur
[4] Il s’agit aussi de s’inscrire dans le processus de formation tout au long de la vie, processus nécessaire pour renforcer le professionnalisme des enseignants.
[5] Propositions pour une réforme des formations initiales des enseignants en Fédération Wallonie-Bruxelles, 17 juin 2014.
[6] Principe de reconnaissance de l’enseignant, principe d’articulation entre les institutions concernées, principe de continuité du dispositif de formation, principe de développement de passerelles, principe de valorisation des acquis de l’expérience, principe d’articulation des différents axes, principe d’une construction d’une identité professionnelle commune et principe d’une articulation entre formation initiale et recherche.
[7] Référence complète