Après avoir bourlingué 50 ans sur les chemins des écoles, maternelles, primaires, secondaires et supérieures, je crois le moment venu de passer le relai et de lancer un dernier et fort SOS.
Au secours de …
La maternelle d’abord. C’est à mes yeux un des lieux les plus révélateurs des dysfonctionnements de notre système. En positif, la majorité des citoyens convient aujourd’hui que c’est une étape importante pour tous les enfants, mais déjà douloureuse pour beaucoup d’entre eux (1). Dans la réalité, malgré des appels réitérés, les conditions d’apprentissage et d’épanouissement de TOUS les enfants sont loin d’être réunies. Locaux vétustes et classes surpeuplées. Pas seulement à Bruxelles. Et puis les puéricultrices et les institutrices n’ont pas accédé à la haute considération que la plupart d’entre elles méritent. En Finlande, par exemple, il faut faire 5 années d’études, y compris pour devenir instituteur maternel. Tout le monde veut devenir enseignant parce que la profession est respectée et valorisée
L’école fondamentale. Lieu de bien des réformes : cycles, école de la réussite, continuum prolongé, CEB, … On doit hélas constater que ce niveau n’assure pas à TOUS les enfants des bases communes et solides. Les écarts n’ont cessé de se creuser entre les écoles. Le CEB n’y a rien changé. Si non l’introduction du bachotage dès 11-12 ans. Une fois encore, des conditions de travail « à la limite », surtout dans les quartiers populaires. Des pressions auxquelles on n’a pas préparé les instits à résister : transfert des apprentissages à domicile, évaluations en cascades, … Les perdants ? Les enfants des familles populaires.
Le secondaire. Lieu d’une rupture brutale avec le primaire, malgré le soi-disant « continuum » pédagogique. Echecs et « orientations » par l’échec. Moins relevée, une évolution profonde : le passage d’un enseignement « généraliste » (humanités anciennes ou modernes) à un enseignement « spécialisé » et émietté. Avec des spécialistes pour chaque discipline, côte à côte. De plus en plus de micro-disciplines au choix … et de grands discours sur une indispensable interdisciplinarité introuvable ! L’imposition brutale des compétences qui a semé la pagaille et découragé nombre d’enseignants. Au total, plus de la moitié des élèves en retard ou en décrochage, beaucoup d’ennui et des inégalités encore plus profondes entre élèves et écoles
Le supérieur ? Pour faire très court : « Elles et ils sont mal préparés ! ». Du déjà entendu au début du primaire (si, si) et au début du secondaire. Et, à ce stade, près de 60 % d’échecs en 1° année du supérieur. Quel gaspillage colossal tout au long du parcours !
Assez !
« Assez ! Vous êtes plein d’amertume ». Je voudrais tenir un autre langage, comme je l’ai fait pendant 50 ans. Aujourd’hui, je crois plus courageux, je dirais même « de mon devoir de citoyen » de clamer haut et fort (et trop brièvement) que notre système scolaire est à bout de souffle. Il a besoin de très profonds changements. Dans l’intérêt de tous, y compris de ceux qui « réussissent ».
Qu’on ne s’y trompe pas. Je ne fais pas le procès des enseignants. La majorité d’entre eux fait de son mieux dans un système digne de Kafka. Elles et ils sont nombreux celles et ceux qui ne laissent pas tomber, qui cherchent, inventent, investissent sans relâche. Malgré des directives et des paperasseries chronophages, des directions et des inspections parfois tâtillonnes, malgré des parents parfois surprotecteurs, malgré des élèves qui « n’en ont rien à f… » et que des profs s’ingénient à réveiller, relancer. Chapeau !
Place aux citoyens
On s’est trop contenté de proclamer depuis 50 ans et plus « l’école est une priorité ». On a laissé à des « experts » et au petit monde de l’enseignement le soin de débattre très longuement et d’instaurer des « réformettes », fruits de « savants » compromis entre des politiques qui se succèdent sans cohérence.
C’est nous tous, citoyens, parents, grands-parents, entrepreneurs, artistes, travailleurs sociaux, infirmières, universitaires, … qui devons nous interroger, nous laisser interpeller par un système qui provoque tant de dégâts. Ce n’est pas évident de dépasser les cas individuels, ceux de nos proches. Mais c’est indispensable de considérer le système dans son ensemble. Un système hypersélectif, hérité d’un autre âge. Un système qui divise les forces vives et entretient tous les conservatismes. Un Titanic qui prend l’eau à tous les étages.
C’est d’un grand débat public sur l’Ecole, largement relayé par les médias, que notre société a besoin. Pour répondre à une question cruciale : « que devrait être l’institution qui préparerait vraiment TOUS les jeunes à affronter les immenses défis qu’ils auront à relever ? où ils trouveraient des clés pour entrer dans la complexité du monde et des outils pour le transformer ? ». Une institution qui ne tolérerait plus le gaspillage des talents que l’école du passé engendre. Donc une « tout autre école » ! (4)
Il y faudra plus de moyens et mieux répartis. Une tout autre formation des enseignants. Une tout autre et toute nouvelle approche de l’Ecole par l’ensemble des citoyens. Un énorme défi, notre affaire à tous.
Article paru dans Le Soir du jeudi 27 aout 2015 sous le titre « Notre système scolaire est à bout de souffle ! »