Le soutien à nos pairs dans le cadre de projets collaboratifs peut prendre diverses formes. Voici le récit d’un membre d’un collectif qui, malgré son scepticisme face au dispositif, débloquera une situation ayant un potentiel conflictuel.
Soutenir nos pairs qui portent un projet, c’est d’abord ne pas saboter les collègues sous prétexte de désaccord. Ensuite, c’est construire ensemble et soutenir les prises de responsabilités. Enfin, c’est l’occasion pour celui qui n’est pas à l’initiative ou qui n’innove pas de participer pleinement à un dispositif. Cela peut prendre bien des formes.
En allant vers le conflit...
Nous travaillions sur un texte commun, traitant de cohésion sociale, avec une dizaine de collègues. Dans le processus, nous avions eu plusieurs temps d’écriture sur des modèles variés. Plusieurs paragraphes étaient écrits autour du même thème, mais ils n’étaient pas organisés entre eux. Nous étions alors dans une phase où chaque paragraphe était imprimé sur une page A4 et installé sur une longue table. Le but étant de les mettre dans l’ordre et, éventuellement, de compléter ou de retravailler la forme, de manière à ce que les textes s’harmonisent.
Vers la fin du temps de travail, nous bloquions sur un paragraphe qui ne trouvait place nulle part, mais qui, pourtant, semblait devoir prendre place absolument. Les personnes allaient et venaient dans le cercle de discussion autour de ce paragraphe, partant au gré des frustrations et des contreargumentations, revenant lorsqu’un nouvel argument émergeait de leur réflexion. Par moment, une tension était palpable et le groupe pressentait l’impasse.
Au sein de ce groupe de travail, ce n’était jamais arrivé. Voilà un an et demi que nous ne décidions que par consensus. Dans ce cas, chacun avait une idée particulière et personne ne semblait vouloir se retirer. Nous commencions à discuter de la manière de trancher. Voter ou laisser un membre décider seul étaient exclus. Enfin nous n’avions plus ni le temps ni l’énergie de relancer les débats.
… j’ai rencontré mon pair
Un collègue, qui avait souvent dit qu’il n’avait pas d’affinités avec l’écriture et les longues palabres, restait à l’écart, participait peu aux débats et encore moins au choix. Il avait rapproché sa chaise pour écouter les discussions. Alors que l’heure approchait et que nous n’avions pas de solution, il a doucement tendu la main vers la page A4 contenant le paragraphe. L’a saisie sans même la lire et, en nous regardant chacun, a fait mine de la chiffonner. Il s’est arrêté et a dit, dans un silence général et sous le regard tendu des participants : si personne ne dit rien, je vais réellement la déchirer et la jeter.
Un membre du groupe a acquiescé et lui a donné son accord, puis les autres ont suivi. Pour diverses raisons, chacun était satisfait que ce paragraphe disparaisse. Le collègue en question a une dernière fois demandé si nous étions bien surs qu’il pouvait le faire. Face à l’accord général et aux mines soulagées, il a achevé son geste et nous a débarrassés du paragraphe encombrant.
À ses yeux, il n’a rien fait d’incroyable. Il a juste été logique, en proposant la seule solution qui n’avait pas encore été envisagée. Il s’étonnait même qu’on n’y ait pas pensé plus tôt. Il est clair qu’il a sorti le groupe d’une difficulté et qu’il a créé le consensus autour de sa proposition. Il avait soutenu ses pairs porteurs en étant attentif bien que distant.
Dans le groupe, nous sommes plusieurs à penser qu’il a pris une grosse responsabilité et que son rôle a été essentiel, bien au-delà de ce temps de production. Quand le groupe a été en difficulté, il a changé de posture pour permettre de sortir de la crise qui s’amorçait. Il est devenu notre pair porteur et nous a enseigné, par l’acte et le vécu, qu’il fallait parfois laisser filer nos envies pour réaliser notre objectif commun.