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La pertinence de l’augmentation continue du temps scolaire consacré à l’apprentissage des langues modernes est devenue une évidence pour tous. Ne vaudrait-il pas la peine de la questionner ?

À l’heure où le Pacte pour un enseignement d’excellence s’apprête à mettre en œuvre un parcours commun de la maternelle jusqu’à quinze ans, la question est d’abord celle de l’équilibre entre les différents contenus d’apprentissage dans la grille horaire du tronc commun. En effet, ce nouveau parcours se veut centré sur les contenus essentiels et est conçu comme un continuum pédagogique. Il se donne comme objectifs de réduire fortement le redoublement et les inégalités liées à l’origine sociale des élèves, notamment en variant les contextes d’apprentissage et en ajoutant, dans l’horaire des élèves, deux périodes d’accompagnement personnalisé pour surmonter les difficultés rencontrées. Les compétences de base devraient pouvoir être travaillées aussi bien dans les cours spécifiques de français, mathématiques, sciences et sciences humaines, que dans les nouveaux domaines créés à cette fin : la formation manuelle, technique, technologique et numérique et le parcours d’éducation culturelle et artistique. Pour se donner les moyens de faire réussir tous les élèves, le tronc commun doit devenir polytechnique et pluridisciplinaire, sans augmenter le volume global d’heures de cours des élèves (vingt-huit périodes dans l’enseignement fondamental et trente-deux périodes dans l’enseignement secondaire).

Vous reprendrez bien un peu plus de langues ?

Mais voilà, il y a aussi les cours de langues modernes et les cours dits philosophiques. Je laisserai ces derniers à un autre débat, mais en ce qui concerne les langues modernes, j’ai constaté que rares ont été les doutes émis sur la pertinence de l’augmentation de leur présence dans le tronc commun. Sans poser de questions, alors que les débats sur l’intérêt de la formation manuelle et de l’éducation culturelle faisaient rage, les évidences se succédaient : il fallait commencer le plus tôt possible (éveil aux langues dès la maternelle), avec le plus d’heures possible (deux, trois, puis quatre périodes pour la première langue moderne) et apprendre le plus de langues possible (début de l’apprentissage de la deuxième langue moderne en deuxième secondaire à raison de trois périodes par semaine). Dans les trois dernières années du tronc commun, l’apprentissage des langues modernes occupe pratiquement une période sur cinq. Et chaque fois qu’on augmentait la place des langues modernes, il fallait rogner sur d’autres apprentissages.

Instrumentalisation de l’enseignement

Tout cela ne serait qu’un demi-mal si le cours de langues modernes était au service de l’apprentissage des savoirs et des compétences communes, mais les cours de langues modernes sont axés sur les exigences des besoins des employeurs. Il s’agit d’augmenter les compétences en langues étrangères parce que c’est utile pour trouver un emploi. Il ne s’agit pas d’apprendre à penser et à agir, il s’agit de produire des bilingues voire des trilingues pour un marché du travail soumis à la tension du chômage. L’exigence du multilinguisme s’est imposée comme un prérequis, et c’est à l’école que la tâche a été confiée.
On devrait s’en réjouir puisque c’est devenu une compétence essentielle dans un monde ouvert et dans un pays qui compte trois langues nationales officielles. En quoi est-ce un problème ?
C’est une demande forte des parents parce qu’ils veulent que leurs enfants soient outillés dans la grande lutte pour l’accès aux meilleurs emplois. Ainsi, c’est devenu un facteur premier de concurrence entre les écoles et de distinction sur le quasi-marché scolaire. Ce handicap touche plus particulièrement les jeunes issus des milieux défavorisés qui, bien qu’ils soient parfois multilingues, ne maitrisent pas suffisamment (voire pas du tout) les langues ciblées par le marché (néerlandais et anglais).
De réformes en renforcements de l’apprentissage du néerlandais, l’école échoue à généraliser le bilinguisme pour tous. Ceux qui sortent bi voire trilingues de l’enseignement secondaire sont ceux dont les parents savent que l’école ne suffira pas. Ils choisissent l’enseignement néerlandophone ou des écoles pratiquant de l’immersion de qualité et ils paient des cours particuliers, des stages de langues, des séjours à l’étranger, etc.

Pourquoi ça rate ? (Et ça fait rater…)

Comme souvent dans l’enseignement, c’est une question de finalité. Les langues étrangères parlées et écrites sont une composante quotidienne de notre environnement et pas seulement dans la sphère de l’emploi. Elles entrent donc dans l’école, y sont présentes, mais elles n’y sont pas toutes bienvenues. Or, toutes ces langues devraient être pertinentes afin, d’une part de permettre à tous les enfants d’entrer dans la langue des apprentissages et, d’autre part d’ouvrir tous les élèves aux univers culturels dont elles sont porteuses. Les langues étrangères seraient dès lors insérées et valorisées dans tous les apprentissages des savoirs et des compétences du tronc commun, l’apprentissage des langues cibles (le néerlandais et l’anglais), lui, se ferait dans des situations d’action et de communication réelles. Les ambitions (tous bilingues) devraient certes être revues à la baisse, mais deviendraient dès lors plus réalistes. La formation professionnelle à l’usage d’une langue en situation de travail dans un secteur économique donné est une formation qualifiante, et ce bilinguisme-là peut être appris après le tronc commun, quand les élèves ont déjà acquis des compétences d’analyse de la langue d’apprentissage, tout en construisant et en conservant un rapport positif à la découverte et à l’apprentissage de langues étrangères. Ce n’est pas en en faisant toujours plus et plus tôt que l’on rencontrera les défis d’une société de plus en plus multilingue et multiculturelle.
La situation actuelle est déjà catastrophique. Les cours de langues, en particulier le néerlandais, sont à la fois porteurs de fortes attentes et incapables d’y répondre. La conséquence, c’est que le cours de néerlandais est souvent un cours qui sert à trier et ce tri se fait largement sur la base de l’origine socioéconomique des élèves parce qu’une part importante des apprentissages doit se faire en dehors de l’école.
Nombreux sont les enseignants qui, confrontés à cette réalité, tentent de mettre en œuvre des stratégies d’apprentissages dont l’objectif n’est plus de rendre les élèves bilingues, mais de les réconcilier avec l’apprentissage de la langue cible. Mais nombreux sont aussi ceux qui soit se découragent et quittent le monde scolaire, soit se résignent et participent, parfois malgré eux, à la sélection. Et on ne se bouscule plus depuis longtemps aux portes de toutes les écoles pour y donner des cours de langues modernes…