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Ils se multiplient, ceux qui défendent une école polytechnique, dès le fondamental. Projet en quatre axes, pour sortir des ornières actuelles et autres projets misérabilistes.

Qu’entend-on par polytechnique ? Pour moi, ce terme comporte quatre enjeux. Le premier, c’est de comprendre les rapports techniques de production, en tant qu’ils permettent de comprendre les rapports sociaux de production : comprendre comment fonctionnent une usine, une entreprise agricole, etc., quelles sont les technologies qui ont façonné le travail qu’on y fait et la manière dont il s’organise.

Le second enjeu vise à comprendre certains problèmes de société dans lesquels les technologies jouent un rôle essentiel. Par exemple, notre recherche [1] a mis en lumière que beaucoup d’élèves ont une mauvaise connaissance du problème du réchauffement climatique, entre autres parce qu’ils ne comprennent pas les fondements scientifiques et technologiques de la problématique.

Ainsi, si on ne comprend pas la production d’énergie dans une centrale, notamment le rôle joué par le gaz naturel ainsi que ses conséquences sur l’émission de CO2, on ne peut pas appréhender les débats sur ce sujet.

Le troisième enjeu viserait à développer le sens technique chez l’élève. Quand les ordinateurs sont arrivés à l’école durant les années 80, nous avons été quelques enseignants à les utiliser pour apprendre aux jeunes la programmation. De ce fait, les jeunes étaient amenés à décomposer une tâche à réaliser en éléments logiquement articulés, puis à traduire cela dans un langage formellement très codifié. Cela avait évidemment des retombées en termes de formation en langue, en mathématique, en logique formelle, etc.

Au passage, on apprenait aussi à démythifier cette technologie, alors qu’aujourd’hui l’informatique est devenue une espèce de Dieu et on ne sait pas comment il fonctionne. Les élèves d’aujourd’hui en savent beaucoup moins que ceux d’il y a 30 ans qui travaillaient sur des machines 1 milliard de fois plus lentes que ce qu’on connait aujourd’hui…

Un quatrième enjeu est de permettre une meilleure orientation socioprofessionnelle des élèves, puisqu’ils auront eu l’occasion de découvrir différents secteurs. Cette quatrième motivation ne vient qu’après les trois premières qui sont plus importantes. Or, du côté ministériel, on ne considère la formation polytechnique que sous cet angle, car elle permettrait une meilleure adéquation au marché du travail.

Cours et ateliers

Concrètement, comment ça se traduirait ? Il faudrait d’abord de vrais cours de technologie : électricité, informatique, agriculture, etc. Il faudrait aussi du temps pour faire des visites et organiser des stages pratiques dans des lieux variés de découverte et non des stages de spécialisation comme c’est le cas actuellement dans l’enseignement qualifiant.

Enfin, il faut accorder de la place à des ateliers scolaires, soit pendant certains cours, soit en dehors des heures. Personnellement, je l’ai expérimenté comme enseignant de l’enseignement technique de transition, dans l’option sciences appliquées. Sur les 10 heures hebdomadaires inscrites à la grille, le programme nous imposait d’en utiliser une pour la réalisation d’un projet technologique.

Ainsi, une année, nous avons fabriqué une montgolfière solaire, en film plastique noir pour qu’elle absorbe le rayonnement du soleil. Il s’est alors agi de parvenir à déterminer les dimensions du ballon pour atteindre une force ascensionnelle déterminée (nous sommes arrivés à atteindre une force de 12 kg).

Ce projet, c’est moi qui l’ai proposé, mais cela a tout de suite passionné les élèves. Par son biais, nous avons étudié ce qu’est le flux du rayonnement solaire, le taux d’absorption de rayonnement solaire par une surface, les pertes de chaleur par rayonnement d’un corps noir, les transferts de chaleur par une paroi, la force d’Archimède, la pression atmosphérique et l’agitation moléculaire, et donc la thermodynamique. Les élèves ont dû mobiliser et découvrir des connaissances en géométrie (calcul de volume, calcul de surface), en dessin de plan, en techniques de construction, mais aussi des techniques d’organisation du travail, de coopération, etc.

Cela été d’une richesse extraordinaire. Les élèves sont même venus en dehors des temps scolaires pour finaliser leur montgolfière, ce qui a permis des temps informels (partage de repas, etc.) qui les a amenés à porter un autre regard sur l’école et, accessoirement, sur leur enseignant.

Investir du temps pour en gagner

On pourrait envisager ainsi différents types d’ateliers : informatique, cuisine, élevage, théâtre, etc.

Comment est-ce conciliable avec le temps scolaire qui est déjà très serré ? D’abord, parce qu’en créant des interactions entre disciplines on les renforce mutuellement. De plus, on gagne du temps : celui qu’on passe à comprendre les enjeux scientifiques de l’atelier jardinage sera du temps gagné par rapport au cours de biologie ; les textes que l’on lira en théâtre libèreront du temps pour pouvoir faire de la recherche documentaire au cours de français. Etc. On y gagne non seulement du temps, mais surtout de l’efficacité.

Ceci dit, il est clair que cela prendra du temps. C’est la raison pour laquelle je plaide pour plus de temps d’école, une école qui sera ouverte après quatre heures, pendant les weekends et les vacances…

« École, énergie, climat. Les élèves belges sont-ils outillés, pour affronter l’épuisement des ressources énergétiques et le changement climatique ? », Aped, Bruxelles, 2015.

notes:

[1Ils se multiplient, ceux qui défendent une école polytechnique, dès le fondamental. Projet en quatre axes, pour sortir des ornières actuelles et autres projets misérabilistes.